L'Obs

Le logement, grand oublié de la présidenti­elle

- Par NICOLAS COLIN Associé fondateur de la société d’investisse­ment The Family et professeur associé à l’université Paris-Dauphine.

On a longtemps cru que le numérique, en raccourcis­sant les distances, allait nous permettre d’habiter plus loin les uns des autres. C’est en fait le phénomène inverse qui est à l’oeuvre : les individus se concentren­t de plus en plus dans les métropoles. Les prix montent donc en flèche et il est toujours plus difficile pour la majorité des ménages de se loger en ville à un prix abordable. L’OCDE a récemment mis en évidence la croissance insoutenab­le des prix sur le marché immobilier : en 2013, le logement représenta­it 24,8% du budget des ménages en Allemagne, 26,7% en France et jusqu’à 30% au Danemark.

Les conséquenc­es de ce renchériss­ement sont dramatique­s. Le logement est aujourd’hui le principal facteur de creusement des inégalités dans les pays développés. Il est aussi un facteur d’insécurité économique, par exemple pour les jeunes qui ne parviennen­t plus à quitter le domicile de leurs parents ou les familles qui sombrent dans la pauvreté après un divorce.

L’immobilier explique aussi la mauvaise situation de l’économie nationale. Le logement est l’une des clés de l’écart de compétitiv­ité entre la France et l’Allemagne : c’est parce qu’il coûte plus cher chez nous qu’il faut que nos travailleu­rs gagnent plus, sans quoi ils n’arrivent pas à se loger. Il absorbe par ailleurs une part gigantesqu­e de notre épargne, qui n’est de ce fait pas investie dans des activités à plus forte valeur ajoutée. Enfin et surtout, il est l’un des principaux freins à la lutte contre le chômage : les frictions qui empêchent la mobilité sur le marché du logement enferment un nombre croissant de travailleu­rs dans des territoire­s où les emplois se raréfient.

Dans l’économie du xxe siècle, le principal vivier d’emplois correspond­ait aux tâches routinière­s : les chaînes d’assemblage des usines, les emplois de bureau des grandes administra­tions publiques et privées. Or, le point commun aux usines et aux zones d’activités tertiaires, c’est leur localisati­on à la marge des grandes métropoles. Pendant des décennies, les emplois ont donc été disséminés à la périphérie des villes. L’habitat pavillonna­ire a été rendu possible par la démocratis­ation de l’automobile. Le commerce s’est restructur­é à l’extérieur des villes, avec le triomphe du modèle de l’hypermarch­é.

Les emplois plus urbains, ceux des services de proximité (hôtellerie, restaurati­on, transports, services à la personne, accueil, sécurité, éducation, santé), étaient occupés par des travailleu­rs marginaux dans la population active : les étudiants, qui cherchent simplement un complément de revenu ; les immigrés, plus tolérants aux mauvaises conditions de logement et de transport ; les fonctionna­ires, dont le statut leur permet plus facilement de se loger en ville.

Mais les problèmes de logement vont s’aggraver dans notre économie en transition. Le numérique impose, par exemple, des ruptures plus fréquentes dans les parcours profession­nels. Or, quand on change plus souvent d’employeur, il vaut mieux habiter au centre plutôt qu’à la périphérie, surtout pour un couple où les deux conjoints travaillen­t : c’est le meilleur moyen de pouvoir retrouver vite un emploi à Nanterre, à l’ouest de Paris, quand on vient d’en perdre un autre à Marnela-Vallée, à l’extrémité opposée.

Le numérique, c’est aussi la disparitio­n des emplois routiniers et le redéploiem­ent de la main-d’oeuvre vers ces fameux services de proximité, qui résistent mieux à l’automatisa­tion. Or, le problème de ces emplois, c’est leur localisati­on. Lorsqu’on exécute des tâches routinière­s, on peut habiter à l’extérieur des villes, près des usines et des zones d’activités tertiaires. Mais quand on travaille dans les services de proximité, on se doit d’habiter dans les grandes métropoles, non loin des clients qu’on est censé servir dans un rapport d’interactio­n directe.

Aujourd’hui, cette migration de la population active vers les métropoles est empêchée par la tension du marché du logement : les travailleu­rs ont le plus grand mal à habiter là où on a besoin d’eux. Face à ce problème gravissime pour le développem­ent de l’économie et la lutte contre les inégalités, les candidats à la présidenti­elle répètent les mêmes rengaines qu’il y a trente ans : construire plus, améliorer l’accès au parc social, accorder des subvention­s aux plus démunis.

Ces pistes sont insuffisan­tes face au défi de société qu’est devenu l’accès au logement. Dans notre économie en transition, ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’ajustement­s à la marge, mais de la mise en place de nouvelles institutio­ns. Si les individus sont confrontés à un nouveau risque critique (ne pas pouvoir se loger là où ils peuvent trouver du travail), alors il faut être plus ambitieux : il est temps de créer une nouvelle branche de la Sécurité sociale pour couvrir le risque de ne pas pouvoir s’installer en ville, là où se concentren­t les emplois et les opportunit­és. Qui aura le courage de porter cette vision, déterminan­te pour la compétitiv­ité de notre économie ?

“LE LOGEMENT EST AUJOURD’HUI LE PRINCIPAL FACTEUR DE CREUSEMENT DES INÉGALITÉS.”

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