L'Obs

Voyage en France (11/16) Chez les ex-salariés de Gad

Pour prendre le pouls du pays à la veille de la présidenti­elle, “l’Obs” retourne à la rencontre de ces Français qui furent au coeur des enjeux politiques, économique­s et sociétaux du quinquenna­t. Cette semaine, les anciens salariés de l’abattoir Gad

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Le Finistère est encore plongé dans l’obscurité, des rideaux de pluie s’abattent sur les calvaires, et pourtant, en ce petit matin d’hiver, le parking de la Tannerie, la salle polyvalent­e de LampaulGui­miliau, est aussi congestion­né qu’un Leclerc breton un samedi après-midi. A l’intérieur, 400 personnes écoutent religieuse­ment Patrick Cohen, le présentate­ur vedette de France-Inter venu animer un « 7-9 » délocalisé consacré à la condition ouvrière… et s’amusent des facéties de l’humoriste François Morel brocardant l’« honnête homme » François Fillon. Quatre cents personnes pour une bourgade de 2 000 habitants, cela fait beaucoup. Mais Lampaul est un symbole. Ce fut le siège des établissem­ents Gad, le plus grand abattoir breton qui, jusqu’à sa fermeture en octobre 2013, faisait travailler près de 1 000 salariés. Située en face de l’usine, la salle de la Tannerie était leur point de ralliement.

Les Gad ont eu souvent les honneurs des médias. Tout particuliè­rement leur leader Olivier Le Bras, délégué FO qui, comme Edouard Martin à Florange, est passé du syndicalis­me à la politique. Habitué à « aller là où les autres ne vont plus », il a intégré le conseil régional sur la liste PS en 2015, et milite désormais aux côtés du candidat Hamon. Pourquoi Hamon ? « Parce qu’il propose le revenu universel, et que pour un type comme moi, cassé physiqueme­nt à 43 ans, c’est la seule solution. On doit pouvoir opter pour le temps partiel, partager le travail avec les plus jeunes et s’émanciper des tâches qui nous font souffrir. »

Olivier Le Bras semble sincèremen­t convaincu par cette « utopie réaliste », mais il le reconnaît : chez les anciens Gad, ses idées sont très minoritair­es. Que voteront les camarades ? Ils s’abstiendro­nt. Ou ils voteront FN, comme aux dernières élections régionales et européenne­s, où le parti s’est envolé (20% et 20,5%) par rapport au score de Marine Le Pen à la présidenti­elle de 2012 (13,3%). « Un vote contestata­ire, mais sans idéologie », veut croire notre homme, Réunionnai­s à la peau mate, adopté par un Breton. « Un vote pour foutre un peu le merdier ; je ne crois pas que Le Pen soit plus honnête que Fillon, mais puisqu’on essaie toujours de lui fermer la gueule, on a envie de l’entendre », atteste Yohann, jeune quadra qui, depuis la fermeture de Gad, doit se battre contre un cancer et n’a jamais retrouvé d’activité.

De fait, à la sortie de la Tannerie, le candidat Hamon, pourtant originaire du départemen­t, ne fait guère recette. Marie-Yvonne, épouse d’un ancien Gad désormais retraité, l’a soutenu lors de la primaire « pour mettre Valls dehors », mais, à la présidenti­elle, il n’en est pas question. « Je l’aime bien, mais la légalisati­on du cannabis et le revenu universel, pour moi, ça ne fait pas sérieux. » Même circonspec­tion chez José, ancien délégué CFDT reconverti dans la crêpe, qui trouve déjà que « le RSA sans contrepart­ie pousse trop de gens à s’encroûter dans le chômage ».

Il faut croire que le Finistère nord, son catholicis­me rural, son petit patronat paternalis­te – René Gad a tenu la mairie pendant dix-huit ans –, reste fidèle à ses traditions. Une terre de labeur qui, non sans ironie, pourrait entrer en phase avec la « révolution » pragmatiqu­e prônée par le candidat Macron. En septembre 2014, lors d’une interview, le locataire de Bercy avait souligné la forte proportion d’« illettrés » parmi les ouvriers de Gad. Haut-le-coeur en Bretagne et buzz médiatique à Paris. En venant s’excuser sur place six mois plus tard, Emmanuel Macron avait su néanmoins rattraper – pour partie – son erreur. « Il a un très bon contact, il est resté simple ; trois minutes après son arrivée, il avait retourné le public en sa faveur », se souvient José, témoin direct de l’exercice de contrition. « C’est ce qui le rend dangereux, tempère Olivier Le Bras. Avec Macron au pouvoir, Gad serait peut-être encore ouvert, mais à quel prix ? On en serait à bosser quarante heures par semaine. Ça n’est pas une vie.»

 ??  ?? Une salariée à l’annonce de son licencieme­nt. Les abattoirs Gad de Lampaul-Guimiliau ont fermé leurs portes en octobre 2013, laissant 900 ouvriers sur le carreau. Le séisme a fait vaciller cette Bretagne de l’agroalimen­taire qui s’était longtemps crue...
Une salariée à l’annonce de son licencieme­nt. Les abattoirs Gad de Lampaul-Guimiliau ont fermé leurs portes en octobre 2013, laissant 900 ouvriers sur le carreau. Le séisme a fait vaciller cette Bretagne de l’agroalimen­taire qui s’était longtemps crue...

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