Tourisme Six destinations pour faire un break
Bordée par la mer du Japon et les Alpes japonaises, cette cité permet de découvrir de fabuleux jardins et une gastronomie de haute volée. Ce joyau, désormais accessible en deux heures de train depuis Tokyo, concentre tout un art de vivre où s’entrecroisen
Agenouillées, le kimono en soie parfaitement ajusté, la tête baissée et les deux mains posées sur le tatami, elles saluent leurs hôtes avec grâce et lenteur. La cérémonie du thé vient de prendre fin et les deux femmes s’esquivent discrètement. Derrière les panneaux coulissants, le clapotis d’une rivière trouble à peine le silence ambiant. Et l’on se dit que deux siècles auparavant, tout devait être à l’identique dans ce jardin Gyokusen-en, cliché fantasmé, où vous accueille Madame Nishida : les sculptures de pierre entre les fougères, les essaims de papillons multicolores, les lanternes, les érables rouges, les tapis d’azalées, d’iris, de muguet et le pin coréen, planté par le seigneur Naota Wakita il y a plus de trois cents ans, qui étend toujours ses branches frémissantes. A Kanazawa, le temps s’égraine lentement. Longtemps, cette ville au bord de la mer du Japon est restée une escapade pour voyageurs avertis. Epargnée par les guerres et les séismes, elle offre surtout une plongée unique dans le passé féodal de l’époque d’Edo (1600-1868). Déployée autour de son imposant château, la ville rayonna sous l’égide du clan Maeda qui, durant quatorze générations, mit sa puissance au service du raffinement et de l’épanouissement artistique de la cité. Des seigneurs esthètes entourés de samouraïs, qui, dès la fin du xviie siècle, ont pu troquer le service du sabre pour une existence consacrée à savourer les délices de
l’art ou de l’oisiveté. C’est ainsi qu’ils invitèrent les plus grands maîtres de thé et les meilleurs artisans de laque, de céramique, de teinture sur soie, de kimonos, de dorure à la feuille, mais aussi de musique et de théâtre nô… Aujourd’hui encore, toutes ces disciplines se perpétuent et font toute la renommée de Kanazawa, définitivement « iki », pleine de goût et d’élégance.
CULTIVER SON JARDIN
Au pied du château, le jardin Kenroku-en (datant du xviie) est considéré comme l’un des trois plus beaux du pays du Soleil levant, combinant les six critères esthétiques définissant un parfait jardin japonais: l’espace, l’isolement, l’artifice, l’antiquité, l’abondance en eau et les panoramas. Sur plus de 11 hectares, c’est une ode à la féerie des érables et des gingkos à l’automne, des cerisiers au rose vaporeux au printemps... Sur les berges du lac se croisent famille, étudiants, amoureux. Certains font du jogging, d’autres jouent de la musique ou contemplent, assis sur un banc, la célèbre lanterne Kotoji et le ballet des aigrettes et des buses au fil de l’eau.
SE PRENDRE POUR UN GUERRIER… OU UNE GEISHA
A quelques minutes de marche du carrefour bruyant de Korinbo s’étend le quartier de Nagamachi où étaient regroupées les résidences des plus riches samouraïs de la dynastie Maeda. Parfaitement conservé, il offre une saisissante peinture de l’époque d’Edo, avec ses rues aux murs enduits de sable ocre. Pas de bruit. Juste les élégantes enceintes desquelles dépassent des toits de bardeaux et des arbres de 400 ans. Parmi ces dernières, on visite pour 500 yens la maison de la famille Nomura, où vécut le samouraï Denbei Nobusada (xviie siècle). Il faut déambuler autour du magnifique jardin intérieur et son petit pont en pierre puis monter à l’étage pour admirer les plafonds à caissons en cyprès, les dessins peints sur les portes à glissière et le petit salon dans lequel on boit son thé vert matcha dans un bol de céramique, de la 11e famille de potiers illustres de Kanazawa. Juste à côté, le quartier des geishas (Higashi Chaya) fait également perdurer les traditions ancestrales, au gré de rangées de maisons en bois sombres, classées
au patrimoine culturel du Japon et qui rappellent celles du quartier de Gion, à Kyoto. Derrière les portes aux treillages foncés, demeurent encore aujourd’hui une cinquantaine de geishas en activité à Kanazawa. Si certaines de ces maisons ont été transformées en boutiques d’artisanat ou en restaurants, certaines se visitent à l’instar d’Ochaya Shima (1820) dont le décorum (peignes, instruments de musique, poignées de portes coulissantes en écailles de tortue) n’a pas bougé d’un iota. Puis continuer à pied jusqu’aux ruelles pittoresques de Kazue-machi, près de la rivière Asanogawa, bordée de saules et de cerisiers en fleur.
MÉDITER AU MUSÉE SUZUKI
Le temps s’est arrêté face à un immense camphrier se reflétant dans un bassin noir autour d’un pavillon de contemplation rectangulaire de béton blanc. Le Musée Suzuki rend hommage à Daisetz Teitaro Suzuki, l’un des plus grands philosophes et écrivains bouddhistes contemporains qui a fait connaître la philosophie zen en Occident. Un havre de paix dessiné par l’architecte Yoshio Taniguchi, connu pour avoir réalisé l’agrandissement du MoMA, à New York. Entre matières brutes et minérales, nature et architecture contemporaine, tout a été réalisé pour incarner le « zen » et vous faire partager « le passage du temps et des saisons » en fonction de l’époque où vous venez l’admirer : « Le gris glacé de l’hiver, le blanc laiteux du printemps, l’eau claire de l’été ou le feuillage rouge de l’automne. » Un pur moment d’apesanteur.
SAKÉ CUISINE
A Kanazawa, la gastronomie est en elle-même une expérience initiatique. Derrière des comptoirs minuscules, les cuisiniers expriment le génie du terroir : « crabe femelle arrosée de saké », oursin au vinaigre de sésame, truite d’eau douce et sa soupe au foie… Même la vaisselle, superbe de raffinement, rappelle que laques et feuilles d’or restent les grandes spécialités artisanales de la cité. Il faut goûter le jibouni (canard au bouillon avec pousse de bambou) du chef Kamoda Takeshi au restaurant Ryotei Kinjohro où chaque assiette, chaque bol, chaque plat est une pièce unique (www.kinjohro. co.jp) ; filer dans les anciens quartiers chez le maître sushis Koji Mitsukawa, qui officie dans une minuscule salle et composera le menu à sa guise en fonction de ses plus beaux poissons (1-16 Higashiyama), tout comme chez le chef Sonoda au restaurant Kappo Murai (2-12-15, Korinbo) dont les calamars et fleurs de lotus vous restent longtemps en bouche.
AU FOND DE LA PISCINE
Merveille architecturale de verre graphique (dont une partie se découvre gratuitement) et situé juste en face du jardin séculaire de Kenroku-en, le Musée d’Art contemporain, bâtiment complètement rond, sorte d’oeuf au plat, est signé de la célèbre agence tokyoïte Sanaa, lauréate du Pritzker (le « nobel » de l’architecture), connue en France pour avoir conçu le Musée du Louvre-Lens. Entre lignes géométriques et murs végétaux signés du paysagiste star Patrick Blanc, on plonge dans l’énergie créative
de différents espaces, oeuvres et installations signés des plus grands artistes : Olafur Eliasson, Anish Kapoor, Ruriko Murayama, James Turrell et la célèbre « Swimming Pool » du plasticien illusionniste Leandro Erlich, un rectangle recouvert d’une fine couche de Plexiglas sur laquelle coule un film d’eau. Les spectateurs peuvent marcher à l’intérieur de la piscine, grâce à une entrée latérale, comme s’ils étaient dans un aquarium géant. www.kanazawa21.jp/en/
“ROAD TRIP” POUR NOTO
A une heure de voiture de Kanazawa, à la pointe nord de la préfecture d’Ishikawa, la péninsule de Noto est un voyage pittoresque entre paysages marins sauvages, temples centenaires, sculpture de bouddha géant et incroyables rizières (Senmaida) tombant à pic dans la mer. Exceptionnel. Fief de la province de Noto, Wajima est une charmante ville de pêcheurs, célèbre dans tout le Japon pour ses fruits de mer et sa production de céramiques et laques. A l’aube, ne pas manquer d’aller assister au marché aux poissons sur le port, puis d’aller visiter les ateliers de divers maîtres de la laque et autres « trésors nationaux vivants » qui, de génération en génération, font perdurer l’excellence de la tradition artisanale : l’atelier Shioyasu par exemple, mais aussi le centre de production Kirimoto, créateur notamment de produits sur mesure pour la marque Toraya (vendue en France) ou encore le maître Yukio Mizushiri, spécialiste de la technique Chinkin (à base de gravure) et qui a même osé créer un vélo entièrement laqué (casque compris), vendu 25 000 €. La classe totale. Enfin, pour parfaire le décor, passer une nuit dans la petite auberge traditionnelle d’Oyado Tanaka, avec art de la table tout en laque et chambres dans le plus pur raffinement japonais. On se croirait dans un film d’Akira Kurosawa.