Présidentielle Les figures du style Hamon
Alors qu’il peine à rassembler et que sa campagne patine, retour sur le candidat socialiste, homme de bande sans vrai mentor, frondeur dans l’âme volontiers blagueur, que personne n’a vu venir…
Les figures du style Hamon
En ce début du mois de juin 2016, Isabelle Thomas prend rendez-vous avec Benoît Hamon. Depuis plus d’un an, la députée européenne est persuadée que François Hollande ne se représentera pas, elle ne sent pas la candidature d’Arnaud Montebourg, ne votera pas pour Jean-Luc Mélenchon. Elle veut convaincre l’ancien ministre de l’Education nationale de se lancer pour que la gauche puisse se reconstruire sur des bases… de gauche. Elle a à peine le temps de développer son argumentaire que le député des Yvelines la coupe : « Je vais y aller. Mais si j’y vais, ce n’est pas pour faire de la figuration, pas pour préparer le coup d’après. J’y vais pour gagner. » L’été ne fera que renforcer sa détermination. Aux premiers jours de septembre, alors que les sondages prédisent un duel Montebourg-Hollande lors de la primaire, le même Hamon subit les railleries de son camp. Mais il n’en a cure. A un ami qui n’en croit pas ses oreilles, le candidat ose ce pronostic : « Je vais gagner. La présidentielle se jouera entre Macron et moi. »
Aujourd’hui, Benoît Hamon est candidat. Mais il est distancé. Sa campagne patine. Il n’arrive pas à rassembler les siens. Pis, il ne parvient pas à empêcher la fuite de ses camarades vers Emmanuel Macron. Il y a d’abord eu quelques défections, au coup par coup. D’anciens conseillers de Bercy. Le député socialiste Richard Ferrand, rapporteur de la loi Macron. De grands élus aussi, tels le maire de Lyon, Gérard Collomb, ou, plus récemment, l’ex-édile de Paris, Bertrand Delanoë. Et voilà que toute une frange de parlementaires, les autoproclamés « réformistes » de l’aile du droite du PS, menacent désormais de se mettre en marche. Mais aussi des ministres de poids, qui semblent attendre le feu vert du « menhir » JeanYves Le Drian. Pourquoi quittent-ils celui qui a pourtant remporté la primaire? Au-delà des idées qu’il représente et de ce quinquennat qui a fracturé la gauche au point que François Hollande a renoncé à se représenter, est-ce la faute à ce que Hamon est et a toujours été ? Portrait en creux.
L’HOMME QUI NE SE PRENAIT PAS AU SÉRIEUX
C’est l’histoire d’un prétendant à l’élection suprême qui n’a jamais rêvé d’être président de la République. C’est l’histoire d’un politique qui ne s’est jamais pris au sérieux. A la ville comme en campagne. En témoigne ce 18 janvier dernier, en meeting à l’Institut du Judo, à Paris. Comme à son habitude, depuis quatre mois qu’il a commencé sa campagne, Benoît Hamon monte tranquillement sur scène. Il chausse ses lunettes, mais elles ne vont pas rester longtemps sur son nez. Devant la clameur de la salle, il les enlève aussitôt, signifiant qu’il ne peut commencer son discours. Et de confesser : « Je ne sais pas quoi vous dire, honnêtement. Je sais bien qu’un présidentiable ne doit pas dire “hyper”, mais je vais quand même vous le dire : c’est hyper impressionnant de vous voir si nombreux. » Face à près de 3000supporters chauffés à blanc, à quatre jours du premier tour de la primaire de la gauche, il sent plus que jamais la vague monter. Mais il ne peut s’empêcher de penser au principal écueil que lui opposent ses contempteurs : son absence de présidentialité. Il veut en faire un atout. « Je l’entends, ça se chuchote: “Benoît Hamon a des bonnes idées, mais il n’est pas présidentiable. Rendez-vous compte, face à Donald Trump…” Mais ce qui est très frappant, c’est de penser que cette élection présidentielle se jouera sur une prétendue stature. Quelle est cette stature miraculeuse qui permettrait à un homme, indépendamment de ce qu’il pense, d’incarner le génie de la nation ? Je le dis et je le répète : je revendique, au nom de l’idée que je me fais de la démocratie, de mettre loin, mais très loin de moi, cette notion d’homme providentiel. C’est immature, c’est irresponsable, ça n’a aucun sens ! » Et de se marrer en mettant les bras en croix pour imiter un Macron habité. « Benoît a vraiment de très grandes qualités humaines. Il a de l’humour, ne se prend pas très au sérieux, n’a pas la grosse tête », abonde Cécile Duflot.
L’HOMME QUE SES CAMARADES REGARDAIENT DE HAUT
C’est l’histoire d’un élu qui a grimpé tous les échelons de l’appareil socialiste sans que ses camarades y prêtent vraiment attention. « Les gens ne le voient pas venir, car lui-même ne se voit pas venir. Ce sont les circonstances qui font de lui ce qu’il est aujourd’hui, et c’est sain. Ça ne l’enferme pas dans une obsession de sauveur suprême. Il est authentique, pétillant, transmet du positif. Il aurait pu finir en apparatchik triste. Le temps n’a pas eu d’effet corrosif sur lui », analyse son pote, devenu député, Pouria Amirshahi. Car, longtemps, Benoît Hamon sera cantonné au second rang. Pis, au second rang des apparatchiks. Au PS,
rares sont ceux qui le regardaient avec sérieux, l’écoutaient avec intérêt. Nommé secrétaire national à l’Europe au lendemain de la campagne référendaire de 2005, ce « noniste » discret est contraint de démissionner de son poste moins de deux ans plus tard. Alors qu’il défend l’abstention sur le traité de Lisbonne, le bureau national du parti se prononce largement en faveur du texte. Non seulement l’abstention n’a pas été votée, mais elle n’a même pas été proposée !
Son salut arrive un peu plus tard. En 2008, une fois encore, il tente une percée depuis l’intérieur du PS, dont il connaît si bien les rouages. Tous les projecteurs socialistes sont braqués sur le congrès de Reims. S’y joue rien de moins que la direction du parti. Royal entend poursuivre sur sa lancée présidentielle, quand les éléphants espèrent lui barrer enfin la route. Mais, dès l’été, une troisième voie se dessine dans les coulisses : une candidature unique de l’aile gauche. Henri Emmanuelli laisse sa place à Benoît Hamon. « Il lui donne les clés, lui transmet le courant. Henri fait le pari de la jeunesse, comme l’avait fait Martine avant lui », raconte Pouria Amirshahi. Mélenchon et Lienemann laissent également la tête de la gauche du PS à Hamon, sans vraiment y croire. « Le petit jeune, ils pensaient qu’ils pourraient le bouffer, ils se sont trompés, raconte Pascal Cherki, aujourd’hui député frondeur. Non seulement il a fait une très bonne campagne de motion, mais aussi une très bonne campagne de premier secrétaire. » Hamon arrive à la troisième place de l’élection du premier secrétaire, avec le score flatteur de 22,6% des suffrages des adhérents. Quelques semaines plus tôt, il était crédité d’un petit 6%. « C’est l’histoire de Benoît au sein du PS, commente son ami Guillaume Balas. On l’a toujours regardé avec un oeil dédaigneux ou paternaliste. Personne ne l’a jamais vu venir. Mais cela l’arrange, d’être la surprise. Cela lui permet de ne pas apparaître comme le candidat des élites, de créer sa propre autonomie. »
L’HOMME QUI A TOUJOURS FRONDÉ
C’est l’histoire d’un homme qui a une âme de « bagarreur ». « Il aime la baston », disent en choeur ses amis. Et l’insolence. Les restes de l’enfance sans doute. Après le divorce de ses parents, quand il a 12ans, l’adolescent est envoyé au lycée privé catholique de Brest. Fils d’un ouvrier devenu cadre de l’Arsenal et d’une secrétaire, il s’y frotte avec les enfants de la bourgeoisie, ceux de « la Royale » comme on les appelle là-bas. « Mon père veut que je sois plus discipliné. Il obtiendra le contraire. C’était une période très dissipée pour moi », se souvient le candidat. De ces années-là, il a gardé une forte conscience de classe, un désir d’autonomie et une réticence à l’obéissance. Ces qualités – ou ces défauts, diront certains –, il les conserve en entrant en politique, à Brest puis à Paris, dans le socialisme tendance rocardienne. Au début des années 1990, alors qu’il milite au Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS), Benoît Hamon participe à une réunion des jeunes rocardiens sous la houlette d’un de leurs aînés, Alain Bauer, en marge d’un congrès de l’Unef-ID, le syndicat étudiant dirigé à l’époque par des socialistes. Hamon arrive de Brest, il a pris le train pour rejoindre les Parisiens. Le provincial est un peu en retard. Bauer est agacé : « Quand on est un militant sérieux, on arrive à l’heure. » « Vasy, dégage ! » répond immédiatement Hamon devant des militants épatés par sa répartie. Qu’il ne va pas perdre dans la capitale.
A l’hiver 1994, au moment où Pierre Péan dévoile le passé vichyste de François Mitterrand, Hamon préside le MJS. Lui et ses potes s’offusquent de ce président au passé si trouble. Le patron du PS, Henri Emmanuelli, le convoque et lui passe un savon. Jean Glavany, porte-parole du PS et mitterrandiste historique, qui le croise au siège du PS, est également en colère. Glavany porte une chemise à carreaux, bleu et blanc. « Ah, tu as une chemise Vichy, c’est de circonstance ! » lui lance un Hamon hilare.
Son âme frondeuse va culminer durant ce quinquennat. François Hollande l’a nommé ministre et même numéro trois du gouvernement. Mais, en opposition avec la politique menée, il a quitté le navire le 25 août 2014. Abasourdi, déboussolé, il ne sait plus sur quel pied danser. Il promet d’ailleurs: « En tant que parlementaire, je veillerai à ce que ça se passe bien avec la majorité. » Ce qu’il va s’échiner à faire lors de l’examen de la désormais célèbre loi Macron. La semaine précédant l’usage du 49.3, lors d’une nuit de février 2015 au Palais-Bourbon, il tente de négocier un ultime arrangement avec Emmanuel Macron. Las, le ministre, pas plus que Valls ou Hollande, ne prend la peine de le rappeler. Qu’à cela ne tienne, il annonce alors qu’il votera contre le texte, entraînant dans son sillage plusieurs de ses camarades et contraignant le gouvernement à passer en force. « Tout le monde discute avec Benoît parce qu’il paraît sympathique, mais les gens ont tendance à le sous-estimer sur le plan politique », s’étonne Régis
Juanico, député de la Loire, un autre proche de la même génération. D’autant que le dédain de l’exécutif va redoubler lors des régionales de décembre 2015. Lorsqu’il fait part de sa volonté de mener la liste en Ile-de-France, on s’active pour que Claude Bartolone y aille à sa place. Lorsqu’il se rabat sur le poste de président de groupe au conseil régional, on lui préfère un autre candidat. « Même pour ça, aux yeux de ces gens-là, je ne peux pas être le chef, prendre le leadership, dit Hamon aujourd’hui. A ce moment précis, j’ai appris une leçon : il n’y a rien à tirer d’eux, il faut que j’enclenche moi-même le truc. » On connaît la suite du « truc ».
L’HOMME QUI ÉTAIT MINORITAIRE
C’est l’histoire d’un éternel minoritaire qui veut être majoritaire. A l’issue de l’élection du premier secrétaire en 2008, soutien de Martine Aubry, il est nommé porte-parole du PS. Ses positions parfois iconoclastes dérangent, comme le jour où il demande le retour des autorisations administratives pour les licenciements boursiers, pourtant jugées obsolètes par la direction du parti. « Mais le coup est incontestablement une réussite, juge Régis Juanico. Il juge l’exercice souvent binaire et frustrant, mais très efficace en termes de notoriété. C’était l’idée : se faire connaître du grand public et tisser des réseaux au sein des médias comme des permanents de Solférino. » « P’tit Ben » se fait un nom. Un nom qui va cependant être rapidement accolé à une catastrophe électorale. Aux européennes de 2009, le PS, concurrencé à gauche par la naissante EELV, arrive loin derrière l’UMP et perd 17 sièges au Parlement européen, dont celui de Hamon. « Je suis tellement contre le cumul que je n’ai plus aucun mandat », dit-il en riant, jaune. Reste que l’épisode représente un coup d’arrêt dans son ascension. Toujours porte-parole du PS, il doit trouver un job. Il reprend du service dans la petite société d’analyse de l’opinion, Le Fil, qu’il avait créée en 2003 avec deux amis. Parallèlement, il donne des cours à l’université de Paris-VIII, en tant que professeur associé, sur l’élaboration des politiques européennes et les institutions financières internationales. La traversée du désert va durer plusieurs années. A la primaire de 2011, il hésite à se présenter, mais passe finalement son tour. Il somatise pendant des semaines. « Il n’a jamais été dans la volonté d’être président à tout prix », témoigne Mathieu Hanotin, l’un de ses successeurs à la tête du MJS, toujours à ses côtés. Hamon soutient Aubry, mais découvre avec stupeur que Montebourg est en passe de lui dérober l’aile gauche du parti. « Pendant le premier débat télévisé, je l’ai vu se décomposer, se rappelle son compagnon de route Roberto Romero. Il prenait conscience de la médiatisation qu’allaient avoir les candidats, et qu’il avait raté le coche. »
Pour beaucoup, l’affaire est entendue. Benoît Hamon ne pèse plus. Quand la gauche revient au pouvoir, en mai 2012, Montebourg est nommé ministre du Redressement productif, tandis qu’il ne devient que ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire. Il faudra qu’il soit enfin élu député, le mois suivant, pour se voir adjoindre la Consommation. Maigre consolation. Mais sans faire de bruit, dans l’ombre du cinquième étage de Bercy, il retrousse ses manches et fait passer deux lois remarquées dans chacun de ses domaines d’attribution. « Le gauchiste de service a bien surpris son administration », se plaît-il alors à dire. Surtout, il passe un pacte avec Manuel Valls et Arnaud Montebourg : Matignon pour le premier, l’Economie pour le second, l’Education nationale pour lui-même. Hollande valide le plan après les désastreuses municipales de mars 2014. La lourde défaite électorale n’aura pas été catastrophique pour tous les socialistes… Enfin reconnu par le courant majoritaire du parti, Hamon perd toutefois beaucoup de crédit auprès de ses amis. L’aventure ne dure que cinq mois. Et se finit à Frangy-en-Bresse, le 24 août, autour d’une « cuvée du redressement » partagée avec Arnaud Montebourg. Aujourd’hui, il rêve
toujours de faire partie de la majorité. Mais, cette fois, bâtie autour de lui.
L’HOMME QUI FONCTIONNAIT EN BANDE
C’est l’histoire d’un homme toujours entouré d’hommes. Et de quelques femmes, tout de même. Ses potes de jeunesse, celles et ceux avec qui il était au MJS ne le quitteront jamais. Dans un monde gris et révérencieux, il tranche. « Benoît était sympa, bordélique, absolument pas matérialiste. Il n’avait pas de carte Orange, il fallait toujours l’attendre à la station de métro Solférino pour qu’il s’achète un ticket. Il fallait lui prêter des costards, se souvient l’avocate Aude Evin, qui a milité avec lui à cette époque. Cette légèreté, c’était sa force. On a toujours été très autonome par rapport à Rocard et aux historiques du courant. On n’a jamais cherché à être légitimes à leurs yeux, donc on a été très inventifs. » Yves Colmou, rocardien historique, confirme : « On le repère vite comme quelqu’un qui a du potentiel. Vu de Rocard, il est un leader jeune, mais pas un ami personnel. Vu de Benoît, Michel est une référence intellectuelle et politique indéniable, mais il n’est pas un mentor. Michel nous déléguait la relation avec cette bande. »
Il a des modèles, mais pas de mentors. Il réfléchit par lui-même. Et il travaille. Le pouvoir, il l’a appris aux côtés de Martine Aubry. Elle l’avait repéré quand il militait au MJS avec ses copains. « Ils étaient jeunes et structurés. Je les trouvais en avance sur les problèmes de société par rapport au parti », se souvient la maire de Lille. En juin 1997, elle est nommée numéro deux du gouvernement Jospin. Hamon entre à son cabinet. Son pote Olivier Girardin, aujourd’hui maire de La Chapelle-Saint-Luc (Aube), est recruté à celui de Catherine Tasca, à la Culture. Ils ont chacun dans leur coin négocié leur salaire. Ils en sont super fiers. « 15 000 francs. » Pour eux, si peu matérialistes, c’était déjà énorme. « Avec Martine, j’apprends à travailler, vite, j’apprends le pouvoir et les négociations sociales », raconte depuis Hamon. Une affection lie toujours Hamon et Aubry. Pour Hamon, au fond, « son mentor, c’est la bande », comme le résume si justement son ami Olivier Girardin. Et peut-être le handicap de ce candidat pour rassembler.