Automobile Le duel des deux Carlos
Après le récent rachat d’Opel, PSA devient le deuxième constructeur européen. Son patron, Carlos Tavares, est l’ex-bras droit de Carlos Ghosn chez Renault. Décryptage
LA FEUILLE DE ROUTE
CARLOS GHOSN Lorsqu’il a pris la tête de Renault, en 2005, Carlos Ghosn venait de redresser Nissan, sa filiale à 43%. Ce polytechnicien d’origine brésilienne a pris tous les pouvoirs, même s’il s’était engagé à lâcher son poste au Japon : PDG de Renault, Nissan et de l’Alliance qui les réunit. L’objectif était clair : rapprocher les deux entreprises, aller vers la fusion tout en redressant Renault. Il s’est depuis rajouté un nouveau défi : intégrer Mitsubishi, racheté par Nissan en 2016, à l’Alliance.
CARLOS TAVARESUne mauvaise stratégie commerciale, des PDG mal choisis et la chute des ventes en Europe après 2008 ont conduit PSA (Peugeot, Citroën et DS) au bord de la faillite en 2013. L’Etat français et le chinois Dongfeng entrent alors au capital, partageant le pouvoir avec la famille Peugeot. Carlos Tavares, ancien bras droit de Ghosn, est recruté par PSA pour une opération survie désespérée : « Personne ne croyait plus au redressement », rappellent aujourd’hui les syndicalistes du groupe.
L’ITINÉRAIRE SUIVI
C. G. Pour développer les liens entre Nissan et Renault, Carlos Ghosn a misé sur les collaborations volontaires entre cadres et la recherche en commun. Ce travail se fait au niveau de l’Alliance. Parallèlement, il a renforcé Renault : « Le constructeur réalisait tous ses profits sur un seul modèle, la Megane, et un seul pays, la France », rappelle Ghosn. Pour réduire cette dépendance, « Carlos Ghosn a d’abord su lancer des modèles qui plaisent aux acheteurs européens », souligne Hans-Peter Wodniok, analyste chez AlphaValue, comme Captur ou Kadjar. Il a surtout multiplié le nombre de pays où Renault est actif : Amérique, Afrique, Inde (lancement de la Kwid) et Russie (Lada). La Chine est le nouvel objectif. L’Alliance permet d’amortir plus facilement tous les investissements et d’acheter les composants moins cher. Les usines sont utilisées à fond pour toutes les marques : depuis que Renault construit sa Kwid à Chennai, en Inde, Nissan a transféré la production de sa Micra à Flins.
C. T. Le patron de PSA a redressé les comptes, en coupant toutes les dépenses. Il a abaissé le seuil de rentabilité du groupe, de 2,5 millions à 1,6 million de voitures vendues par an. « La marge est ainsi passée en trois ans de −3% du chiffre d’affaires à +6%, ce qui est exceptionnel. Pour les deux tiers, il a obtenu ce résultat en réduisant les coûts, pour le tiers restant en interdisant les rabais sur les ventes », résume Gaëtan Toulemonde, analyste à la Deutsche Bank. Carlos Tavares a aussi profité d’un coup de pot : le rebond
du marché européen, où PSA réalise l’essentiel de ses ventes. Il est redevenu numéro deux des ventes en Europe avec le rachat d’Opel. Il s’applique aussi à réduire cette dépendance, en s’implantant en Chine, en Inde, en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique.
LE PRIX DE LA COURSE
C. G. L’an dernier, les actionnaires de Renault ont voté contre la rémunération de 7,2 millions d’euros du PDG sans que le conseil d’administration ne change d’avis. Cette attitude a fait scandale. Le conseil réduira cette année de 20% la part « variable » du salaire, mais Carlos Ghosn pourra compter sur son salaire de Nissan (9 millions d’euros en 2015) et sur celui de Mitsubishi. Il pourrait donc battre son record de 16 millions… Il se justifie par des résultats mirobolants : cette année, il devrait vendre 10 millions de voitures, et l’Alliance va devenir le troisième constructeur mondial, derrière Volkswagen et Toyota.
C. T. Le « sauveur » a été récompensé par un salaire qui a doublé en 2015, passant de 2,75 millions d’euros à 5,24 millions d’eu- ros. « La part variable, qui avait disparu depuis des années, est revenue avec les bons résultats », explique un de ses conseillers. Ses actionnaires ont approuvé à 76%. PSA fait remarquer que Tavares avait supprimé les coûteuses retraites-chapeau de ses dirigeants, économisant 34 millions, qu’il a reversés à tout son personnel. Pour 2016, le conseil d’administration a fait un effort : Carlos Tavares sera moins payé, en dessous de 5 millions.
LA GESTION DES ÉQUIPES
C. G. Au départ, le patron de Renault n’avait qu’une priorité : réduire les coûts. Il a changé sa méthode après 2008 et les suicides des cadres du technocentre de Guyancourt, causés notamment par le stress. « Le régime était dur, il s’est assoupli depuis. Le PDG dit maintenant à ses cadres qu’ils peuvent se tromper… à condition de se corriger », témoigne un dirigeant. « Il a mis de l’eau dans son vin social, il nous écoute. Il n’aimait pas les syndicats, mais il reconnaît enfin que les administrateurs salariés lui sont utiles », dit un syndicaliste. Autre bon point selon les syndicats : la reprise des embauches en France. Le plan 2013-2016 prévoyait 750 embauches, Renault en a fait 3 000. Le nouveau plan 2017-2020 prévoit au moins 3 600 embauches, dont 1 800 dès cette année.
C. T.« Il est cordial, détendu et, surtout, précis. Il explique la stratégie, puis il la met en oeuvre », dit Jacques Mazzolini, de la CFECGC. Tavares exige la performance de chacun, mais il ajoute toujours : « Ce faisant, j’agis pour la protection des salariés. » « Tout va très vite, les salariés sont secoués, mais on sait où on va », dit le syndicaliste. La méthode est dure, mais entraîne peu de plaintes car « ce qu’on a vécu avant son arrivée – le spectre de la faillite – était pire ». Les salariés reçoivent leur part du retour aux profits, avec des primes annuelles de 2 000 euros net pour un ouvrier, et 3 000 euros pour les ingénieurs. « Le dialogue social est de bonne qualité et nous, syndicalistes, on se sent utiles à l’entreprise », ajoute Mazzolini. Les syndicats réformistes ont approuvé le rachat d’Opel et de Vauxhall.
LES PROCHAINES ÉTAPES
C. G. Le patron de Renault n’a toujours pas répondu à la question de départ : comment réussir une union durable entre les constructeurs de l’Alliance ? Et avec quel patron demain ? Le PDG – 62 ans – s’est choisi un dauphin chez Nissan et Mitsubishi, pas chez Renault, ni pour l’Alliance. Il refuse toute fusion entre Renault et Nissan tant que l’Etat restera actionnaire (20%) . Ce sera le sujet central à négocier avec le futur gouvernement français…
C. T. Le redressement de PSA est encore loin d’être fini. Carlos Tavares devra d’abord relever Opel, déficitaire depuis seize ans. Il devra ensuite mettre ses marques Citroën et DS, en panne de nouveaux modèles, sur des rails solides, tout en rattrapant son retard sur l’électrique. Et enfin, il a le défi asiatique à relever. « Sa division chinoise ne marche pas et ses ventes locales sont en baisse », constate l’analyste d’AlphaValue, Hans-Peter Wodniok. Un bon point : la Peugeot 3008 vient de recevoir le prix voiture de l’année. Si les autres suivent la même route…