L'Obs

L’opinion de Matthieu Croissande­au

- Par MATTHIEU CROISSANDE­AU M. C.

Aquoi ressembler­ait la France si Marine Le Pen était élue le 7 mai prochain? Il y a quelques mois encore, le scénario relevait de l’impensable. Malgré la progressio­n régulière du Front national, scrutin après scrutin, malgré les efforts déployés par sa candidate pour banaliser le parti d’extrême droite, malgré les sondages flatteurs, personne n’imaginait vraiment se retrouver à cinq semaines du premier tour dans pareille situation. Les plus optimistes se raccrochai­ent encore à l’idée que nous serions finalement protégés par ce fameux plafond de verre contre lequel se sont toujours fracassées les ambitions électorale­s du FN. Les plus réalistes se tranquilli­saient en expliquant que la mascarade économique et institutio­nnelle qui lui tient lieu de programme finirait par éclater au grand jour. Les plus tactiques enfin espéraient que le lot d’affaires qui minent la maison Le Pen éclabousse­rait sa championne et la priverait de sa crédibilit­é.

Il n’en est rien. Jamais dans notre histoire l’extrême droite n’a paru si près d’accéder au pouvoir. Jamais elle n’a connu un terrain si favorable pour faire prospérer ses idées. Le chômage de masse, le ras-le-bol généralisé, la perte des repères et l’effacement des clivages, la vague d’attentats qui continue de menacer la France, la rhétorique antisystèm­e, le complotism­e ambiant, les succès inattendus du populisme à l’étranger… Tout concourt à lui servir de marchepied. Et on ne parle même pas là du paysage politique fracturé qui voit s’affronter une droite déshonorée par les turpitudes du vainqueur de la primaire et une gauche profondéme­nt divisée. Un tiers des électeurs envisagent aujourd’hui de s’abstenir, un quart des votants de placer Le Pen en tête au premier tour. La catastroph­e n’est plus une hypothèse abstraite. Elle est devenue un péril concret.

Depuis des mois, comme d’autres, « l’Obs » a sonné le tocsin contre le danger Le Pen, mobilisé des personnali­tés venues d’horizons divers, suscitant parfois les sarcasmes des éternels revenus de tout qui nous accusaient d’en rajouter, voire de lui faire de la publicité. Nous avons aussi pris le temps de décortique­r ce qu’est devenue la machine du FN, sans rien laisser passer de ses mensonges ou de ses faux-semblants. Nous sommes allés à la rencontre de ses électeurs pour comprendre les raisons du repli et du rejet. Mais, à mesure que le scrutin approche, il faut désormais se plonger dans le projet, en décoder la logique, le traduire en conséquenc­es tangibles pour les Français. C’est le travail auquel se sont attelés les services de la rédaction cette semaine pour imaginer le scénario des cent premiers jours qui suivraient une victoire de Marine Le Pen à l’élection présidenti­elle. Dans cette « fiction » d’un genre particulie­r, toute ressemblan­ce avec des personnes réelles ou des idées existantes n’a évidemment rien de fortuit puisque nous nous sommes largement inspirés des engagement­s qui figurent noir sur blanc dans le programme de la candidate, ou avons repris des propos qui ont été tenus. Il se dégage de ce récit un enchaîneme­nt implacable de décisions qui changeraie­nt à la fois la nature de notre régime, nos libertés, notre modèle économique et social, notre diplomatie, bref tout ce qui fait notre quotidien et notre avenir. Personne ne pourra dire qu’il n’a pas vu le coup venir.

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