Le point de vue de Daniel Cohen
Dans la liste des victoires populistes qui s’égrènent du Brexit à Trump, les Pays-Bas auront été à l’honneur cette semaine, avec la poussée annoncée du PVV, le parti d’extrême droite de Geert Wilders. Celui-ci veut tout simplement fermer les mosquées, interdire le Coran (qu’il compare à « Mein Kampf »), et sortir de l’Europe. Comment la Hollande, terre d’accueil de Spinoza et des huguenots français, en est-elle venue à acclamer un tel personnage ?
Dans les années 1980, le modèle hollandais, dit « des polders », était donné comme un modèle de coopération sociale. Un point d’orgue avait été atteint avec la signature des accords de Wassenaar, en 1982, aux termes desquels les syndicats, le patronat et l’Etat avaient conclu un pacte de modération salariale et de sauvegarde de l’emploi. Comme l’explique toutefois Ian Buruma, dans un livre fascinant intitulé « On a tué Theo van Gogh », consacré à l’assassinat du cinéaste par un islamiste, ce goût pour le consensus a fini par atteindre ses limites. Une première alliance qui avait uni les électorats protestant et catholique au sein du parti démocrate-chrétien s’est effilochée. Puis une nouvelle coalition autour des socialistes s’est mise en place, avant de perdre à son tour le soutien de la population, sans favoriser un retour des chrétiens-démocrates. Un nombre croissant d’électeurs ne se sont plus sentis représentés par les partis traditionnels. C’est au coeur de cette impasse politique qu’a surgi un personnage haut en couleur, Pim Fortuyn, lui aussi assassiné, en 2002, par un écologiste radical, et dont Geert Wilders assure aujourd’hui l’héritage.
Professeur de sociologie, ancien marxiste affichant fièrement son homosexualité, Fortuyn eut l’idée, on n’ose dire géniale, de vouloir interdire l’islam au nom de la liberté! Il jouait sur la phobie des musulmans dans la population, tout en se vantant d’avoir des relations sexuelles avec des garçons marocains. « Je n’ai nullement le désir de remettre sur le métier l’émancipation des femmes et des homosexuels, expliquait-il… Ça me rappelle un peu nos vieux calvinistes. » Wilders a enfourché les thèmes de Fortuyn, dénonçant à son tour le sexisme et l’homophobie de l’islam, au nom des valeurs libérales de la société occidentale. Cette manière batave de justifier l’intolérance au nom de la tolérance a vite inspiré les autres partis d’extrême droite européens, le FN en particulier. Elle a donné des habits neufs à la xénophobie ordinaire de ces partis, compliquant la tâche de ceux qui la dénoncent.
L’aura de Spinoza protégerait-elle les nouveaux populistes ? Sans doute pas... Comme le montre Ian Buruma, Wilders et Fortuyn sont bien davantage les héritiers de la révolte populaire qui fut attisée, au xviie siècle, par les monarchistes contre l’élite républicaine. Les frères Johan et Cornelis De Witt, protecteurs bienveillants de Spinoza, ont ainsi été massacrés par une foule en délire à La Haye, en 1672. « Ultimi barbarorum » fut le titre du pamphlet que Spinoza voulut alors placarder sur les murs de la ville, avant d’en être dissuadé par son logeur.