L'Obs

Soeur Anne

UN SAINT HOMME, PAR ANNE WIAZEMSKY, GALLIMARD, 122 P., 14,50 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Dieu sait qu’elle s’était détournée de Lui. Et qu’elle n’avait cessé, depuis son plus jeune âge et avec une adorable moue, de le narguer, de le provoquer, le Dieu tutélaire et omniscient de son cher grand-père maternel, François Mauriac. Souvenez-vous. A 18 ans, Anne Wiazemsky (photo) jouait le premier rôle d’« Au hasard Balthazar », le film de Robert Bresson sur le tournage duquel la jeune élève du cours Sainte-Marie de Passy perdit sa virginité. Deux ans plus tard, encore mineure (la majorité était alors à 21 ans), elle épousait un protestant suisse d’obédience maoïste, Jean-Luc Godard, qui n’était pas un saint. Actrice dans « Théorème », de Pasolini, signataire, dans « l’Obs », du Manifeste des 343 femmes déclarant avoir avorté, la romancière de « Canines » n’avait pas hérité, c’est le moins qu’on puisse dire, de la foi débordante de Mauriac, l’oblat de Malagar. Et voici que, dans un récit surprenant, la mécréante rend grâce à un prêtre qu’elle se reproche d’avoir autrefois « abandonné froidement », et qui fut sans doute le plus loyal de ses amis, le plus attentionn­é de ses lecteurs, le plus fervent de ses avocats. Il s’appelait Deau. Marcel Deau. Il avait été, en soutane blanche, son professeur de français et de latin au Colegio Francia de Caracas où, à la fin des années 1950, la petite Anne avait accompagné ses parents. Rentrée en France, après la mort de son père, le prince russe Yvan Wiazemsky, l’adolescent­e révoltée avait rejeté un « Dieu aussi cruel » et cessé de répondre aux lettres du père Deau, envoyé en mission en Afrique. Jusqu’au jour de 1988 où, sous la croix d’un calvaire proche de Malagar, le « saint homme » retrouva sa « soeur Anne ». Lui venait d’être muté à Bordeaux : il avait pris du poids, mais gardé son rire enfantin. Elle venait de publier son premier livre, « Des filles bien élevées », avec quoi elle glissait du cinéma aux belles-lettres. Un quart de siècle avait passé, qu’ils allaient désormais s’employer à rattraper durant deux décennies. Merveilleu­x récit épiphaniqu­e d’une amitié supérieure. Le père Deau, qui jamais ne la juge, trouve à sa protégée « une âme pure », s’enflamme pour chacun de ses livres, les défend contre leurs détracteur­s (surtout dans la famille Mauriac). Lorsqu’elle doute, elle sait gré à cet abbé bernanosie­n de lui rendre la foi en la littératur­e, et, quand elle broie du noir, de lui faire croire encore au bonheur. Il est son ange gardien, elle est son « enfant de Dieu ». C’est sans s’exalter et dans un style païen, comme si elle voulait seulement prolonger leur conversati­on post-mortem, qu’Anne Wiazemsky fait revivre ce prêtre disparu en 2006, qui l’a doucement convertie à la confiance et à la réconcilia­tion.

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