L'Obs

Un homo à Hollywood

Gilles Leroy, prix Goncourt 2007, raconte avec une grande sensibilit­é l’amour impossible de deux acteurs que l’Amérique puritaine a séparés DANS LES WESTERNS, PAR GILLES LEROY, MERCURE DE FRANCE, 316 P., 21 EUROS.

- GRÉGOIRE LEMÉNAGER

« Brokeback Mountain » l’avait rappelé aux esprits obtus. Les homosexuel­s peuvent faire des cow-boys comme les autres. Mieux que les autres, même, si l’on considère le cas de Bob Lockhart, révélé en 1948 dans « la Piste héroïque ». Qui était Lockhart ? Un fils de forain, écossais, que son père aurait contraint à « marcher sur un câbleavant de tenir debout sur le pavé des rues ». Une sorte de James Dean, en beaucoup plus doué, qui aurait continué, en funambule, à crever l’écran avant de tituber dans l’alcool et les cachets. Tandis qu’il agonise, en 2004, son impresario résume en pleurant : « Bobby était talentueux, magnifique, la moitié de l’univers bavait devant lui et il ne se cachait pas d’aimer le sexe. » Mais un résumé ne suffit pas à faire un personnage. Il faut donc lire ce beau mélo crépuscula­ire à la Todd Haynes où Gilles Leroy multiplie les points de vue pour raconter, avec le recul de plusieurs décennies, sa douloureus­e histoire. Elle tourne autour de la puissante passion de Lockhart et de Paul Young, autre star devenue depuis un respectabl­e père de famille doublé d’un sénateur. Et nous ramène dans le Hollywood des années 1950, où les homosexuel­s se cachent pour s’aimer. Ils n’ont pas le choix : c’est ça, ou leur carrière est foutue. La presse les scrute, le maccarthys­me établit ses « listes grises », les studios s’obstinent à sauver les apparences. « Nous, gens d’Amérique, dit quelqu’un, nous savons comme personne fermer les yeux et retourner notre cynisme en naïveté. » L’auteur de « Zola Jackson», à qui l’on doit de très sensibles romans sur Zelda Fitzgerald et Nina Simone, n’avait pas fini d’explorer cette Amérique-là, ni les fêlures qu’elle crée chez certains individus. Tant mieux : il réussit ici la vieille opération de prestidigi­tation romanesque qui consiste à rendre des êtres fictifs plus vivants, plus émouvants, plus complexes que les personnes réelles qu’ils croisent sur leur passage (John Wayne, Hitchcock, Brando…). Et l’on se dit, hélas, que les plus belles histoires d’amour sont peut-être celles qui sont impossible­s.

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