L'Obs

Merci Kaurismäki !

L’AUTRE CÔTÉ DE L’ESPOIR, PAR AKI KAURISMÄKI. COMÉDIE DRAMATIQUE FINLANDAIS­E, AVEC SHERWAN HAJI, SAKARI KUOSMANEN, JANNE HYYTIÄINEN, ILKKA KOIVULA (1H38).

- PASCAL MÉRIGEAU

A force d’entendre des gens, qui n’en pensent pas un mot, ressasser que « les-migrants-sont-des-genscomme-nous », il était temps que quelqu’un le montre. Qui d’autre que le grand Aki Kaurismäki en était capable ? Du moins pas de cette manière, à la fois tranquille et implacable, sans aucun effet, sans sentimenta­lisme, avec humour, tendresse, une touche de nostalgie et un sens consommé de l’absurde. Lorsqu’il débarque à Helsinki en provenance d’Alep, Khaled Ali (Sherwan Haji, photo) est noir comme la nuit de Finlande. Noir comme un Finnois au sortir d’un de ces bars que le cinéaste apprécie tant ? Non, noir parce que couvert de charbon. Face aux autorités du pays, il raconte son histoire, son périple épouvantab­le (en chemin, il s’est trouvé séparé de sa soeur, dont il est sans nouvelles) pour fuir un enfer dont la télévision diffuse les images. Mais ni le récit ni les échos télévisés ne décident les fonctionna­ires à accéder à sa demande: pas d’asile pour Khaled Ali, renvoyé vers ce qu’il a fui. Sauf qu’il se fait la malle, se cache et rencontre Wikström, un représenta­nt en chemises qui s’est débarrassé d’une épouse poivrote et de son stock, a joué son argent au poker clandestin et se retrouve à la tête d’un de ces restaurant­s comme il n’en existe que dans les films de Kaurismäki, décor sans âge, couleurs éteintes, personnel fantomatiq­ue, menu limité aux boulettes de viande et sardines en boîte, établissem­ent jugé d’une propreté « tolérable… sauf la salle à manger et les cuisines ».

Entre Wikström et Khaled Ali, dans un premier temps, ça se passe moyen mais, très vite, le premier offre au second un bol de soupe et un boulot. Voilà, une communauté se forme, et contre elle personne ne peut rien, pas même les brutes épaisses qui s’en prennent à Khaled au nom de l’Armée de Libération de la Finlande. Personne n’y peut rien, parce que Kaurismäki a décidé qu’il en serait ainsi dans ce monde qui n’appartient qu’à lui et ne ressemble à aucun autre, empli de la fumée des clopes, parfumé aux vapeurs de l’alcool, éraflé de riffs de guitare (avec portrait de Jimi Hendrix en arrière-plan). Un monde singulier qui devient le nôtre, en plus drôle, plus chaleureux, plus humain, parce que tout cela, c’est une question de regard. Voilà, Aki Kaurismäki est à son meilleur, et livre un nouveau chef-d’oeuvre, dans la lignée de ses plus grandes réussites, « la Fille aux allumettes », « Au loin s’en vont les nuages ». Mais au fait que peut-il bien y avoir de « l’autre côté de l’espoir » ?

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