L'Obs

La révélation Alice Neel

ALICE NEEL : PEINTRE DE LA VIE MODERNE, JUSQU’AU 17 SEPTEMBRE, FONDATION VINCENT-VAN-GOGH, ARLES, RENS. : 04-90-93-08-08. CATALOGUE DE L’EXPO, FONDATION VAN-GOGH - FONDS MERCATOR, 238 P., 45 EUROS.

- BERNARD GÉNIÈS

Le tableau n’est pas flatteur. Mais il en émane une force rare, une violence sourde. C’est à la fin des années 1960 qu’Andy Warhol contacte Alice Neel pour qu’elle fasse son portrait. Quelques mois plus tôt, en juin 1968, Valerie Solanas, auteur féministe radical, a tenté de l’assassiner à coups de révolver. Warhol supplicié? Le pape du pop art se tient assis sur une banquette les yeux fermés, torse nu (photo). Deux imposantes cicatrices lui balafrent l’abdomen. La toile paraît inachevée, le fond du décor est laissé vierge, une auréole bleue exceptée qui semble l’esquisse d’une aile d’ange. Alice Neel n’a pas triché. Warhol, comme ses autres modèles, a dû affronter le regard acéré d’une artiste qui ignore tout autant les modes que les compromiss­ions. On en jugera sur pièces dans cette étonnante exposition, révélation d’une oeuvre longtemps ignorée.

Alice Neel (1900-1984) a donc travaillé à contrecour­ant, mais son style – entre réalisme et expression­nisme – n’est pas le seul en cause. Durant toute son existence, elle a vécu dans le New York des prolos ou des marginaux, entre Greenwich Village et Spanish Harlem puis, à partir de la fin des années 1960, l’Upper West Side. Ses modèles appartienn­ent à son univers quotidien. Certains sont des intellos (comme l’historien d’art Meyer Schapiro), des politicien­s (tel « Gus Hall », secrétaire général du Parti communiste des Etats-Unis, posant ici coiffé d’une chapka), d’autres fréquenten­t la Factory de Warhol (« Jackie Curtis et Ritta Redd »). Les femmes sont omniprésen­tes dans cet univers où les corps s’exposent sans fard, n’ignorant aucune des étapes de la vie. Quelques natures mortes ou paysages urbains exceptés, les tableaux d’Alice Neel sont souvent vides de tout élément décoratif. Parfois, elle laisse poindre une influence. A preuve ce portrait sur fond jaune du militant communiste Art Shields, peint à la manière de Van Gogh (artiste réputé « prolétaire » chez les staliniens d’outre-Atlantique). Artiste prolo elle aussi, Alice Neel a souffert également d’être une femme artiste. Aujourd’hui, elle commence à être reconnue. L’expo de la Fondation Van-Gogh – déjà montrée à Helsinki et à La Haye – prendra ensuite le chemin de Hambourg. Dans le même temps, à New York, la célèbre galerie David Zwirner présente une douzaine de ses portraits. La légende d’Alice Neel est en train de naître.

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