Rufin voltairien
Le romancier de “Rouge Brésil”, et ancien ambassadeur, réinterprète la vie de l’explorateur hongrois Benjowski, roi de Madagascar
Un peu mystérieux, un rien parodique, le titre annonce la couleur, celle d’un conte philosophique voltairien. A travers les pérégrinations d’un jeune noble au xviiie siècle, Jean-Christophe Rufin, ancien ambassadeur de France au Sénégal, livre sa vision du pouvoir, de la guerre et de la question coloniale. Mais le romancier nous fait vivre avant tout un récit d’aventures et d’amour exalté. Avec son héros, le comte Auguste Benjowski et sa compagne Aphanasie, on s’embarque sur d’improbables vaisseaux vers des contrées hostiles, on connaît conjurations et périls, on converse avec Benjamin Franklin, à qui le couple est venu raconter les épisodes de son histoire tumultueuse. Auguste se présente comme le souverain de Madagascar où le peuple l’appelle le roi Zibeline. Mais ce monarque ne souhaite pas garder le pouvoir. Cela se peut-il ? Serait-ce l’influence de son éducation ? Durant son enfance au royaume de Hongrie, Auguste fut initié par Bachelet, son précepteur français, à la pensée de Diderot et de Rousseau. Son professeur lui enseigna le monde. Il lui laissa « espérer ses beautés et désirer ses épreuves ». C’est pourquoi Benjowski prend très tôt les armes pour défendre l’indépendance de la Pologne contre les Russes. Prisonnier, il est déporté au Kamtchatka. Là, il est reçu chez le gouverneur et se rapproche de sa fille Aphanasie avec laquelle il se fiance et s’évade pour gagner le Japon, la Chine et la France, semblant suivre à son insu un destin extraordinaire qui le conduit vers Madagascar… Aujourd’hui tombé dans l’oubli, l’étonnant comte Benjowski, comme le rappelle l’auteur dans sa postface, fut l’aventurier le plus célèbre de son temps. Il a publié des Mémoires et suscité des romans, pièces de théâtre et films.
Rufin à son tour s’approprie ce personnage souvent décrié pour en faire un homme des Lumières. Et surtout il écrit son livre à deux voix. Celle d’Aphanasie relaie celle d’Auguste. Elle est l’héroïne féministe, hardie et libre, parfaite moitié d’un héros avant-gardiste qui nous rappelle à des idéaux menacés.
LE TOUR DU MONDE DU ROI ZIBELINE, PAR JEAN-CHRISTOPHE RUFIN, GALLIMARD, 368 P., 20 EUROS.