Médias et politiques Chiens de journalistes
Les tensions entre politiques et journalistes n’ont jamais été aussi fortes que lors de cette campagne électorale. Un phénomène inquiétant
Des titres de presse destinataires d’une balle 22 long rifle accompagnée d’une lettre de menace – « La Vigilance et la Protection ne durent pas Ad Vitam… Ce jour-là/nous serons là/pour Vous/ou/l’un de vos Proches » ; des journalistes qui reçoivent des crachats chez Fillon, des oignons chez Mélenchon ; des reporters de TF1 et BFMTV escortés de gardes du corps lors du rassemblement au Trocadéro ; leur confrère du « Petit Journal » soulevé comme un mannequin par des gros bras et porté hors d’un meeting ; une consoeur qui reçoit un coup de poing dans l’épaule, cadeau d’un militant des Républicains ; Joann Sfar, vilipendé sur les réseaux sociaux pour avoir caricaturé Jean-Luc Mélenchon ; Jean-Jacques Bourdin qui tweete : « Fans de F. Fillon : quel plaisir prenez-vous à m’injurier ? A me menacer ? »….
Des tensions entre politiques, militants et journalistes durant une campagne, quoi de plus normal. En 1995, Jacques Chirac promettait bien les mines de sel aux dirigeants de TF1, soutiens d’Edouard Balladur! Mais, cumulés, les incidents qui ont émaillé ces semaines témoignent d’une atmosphère délétère, d’une nouvelle donne.
« Je me réveille tous les matins en touchant du bois, pourvu qu’il ne se passe rien de grave, et me couche avec un soupir de soulagement », confesse un dirigeant de rédaction inquiet pour l’intégrité physique de ses troupes. Des digues sont tombées, la défiance s’est généralisée. « Plus question d’interviewer un militant sans qu’il s’enquiert: “Pour quel média?”, observe un reporter. Certains épient même ce qu’on tape sur notre ordinateur dans le carré presse: “Racontez pas de conneries !” » « Leur agressivité est proportionnelle à l’attitude des candidats », note Thierry Arnaud, chef du service politique de BFMTV. La nouveauté de cette campagne, c’est qu’il n’est plus transgressif de faire siffler les journalistes. Ce qui choquait il y a cinq ans est devenu la routine. « Chez Fillon, le mot “journaliste” déclenchait un réflexe pavlovien, comme “Taubira” ou “Hollande”… Ultra efficace pour réveiller une foule ! » raconte une reporter. Et s’il y a des débordements, eh bien… « que chacun s’interroge sur ses propres responsabilités », se défausse François Fillon. Pile les termes de Nicolas Sarkozy, en 2012, quand Ruth Elkrief avait été la cible de jets de bouteilles remplies d’eau dans un de ses meetings: « Il faut comprendre l’attitude des gens qui sont exaspérés par une forme d’intolérance et de parti pris. » Qui aurait imaginé, cette fois-ci, que l’exemple viendrait de Jean-Pierre Raffarin, le 9 février, quinze jours après les révélations du « Canard enchaîné » ? « Un petit mot tout particulier pour dire merci aux nombreux journalistes qui [huées], non, je veux... [main sur le coeur]… S’il vous plaît… Ils ont voulu montrer aujourd’hui combien il était important pour eux de mieux connaître, de mieux comprendre le Poitou. » Le lendemain, lors d’un déjeuner avec le club de la presse de la Vienne, il rame pour décrisper la tablée : « Je ne suis pas un Trump […] c’était un “joke”, je ne pensais pas que la salle allait réagir comme cela ; elle m’a échappé. » « Un sacré tournant, estime-t-on à “Quotidien”. Une simple maladresse ? Hum... Ces gens-là ont tous étudié ce qu’il s’est passé aux Etats-Unis. » Faire huer les médias était une constante des meetings de Trump.
Mais cette campagne s’est déroulée dans une atmosphère inflammable bien au-delà des meetings politiques. Les reporters de BFMTV avaient couvert les manifs contre la loi travail accompagnés d’agents de sécurité. En plein Salon de l’Agriculture, lorsqu’un portrait supposé peu flatteur de Xavier Beulin, le leader tout juste décédé de la FNSEA, est programmé sur France Télévisions, sa présidente, Delphine Ernotte, est menacée : « Si elle vient, on va lui taper dessus à coups de barre de fer », « le jour de la diffusion, on viendra tout casser ! » Elise Lucet, qui dirige l’émission incriminée, est priée de ne pas se balader à pied près de France Télévisions. Et incitée à la même prudence quand un « Cash Investigation » sur la pédophilie dans l’Eglise hystérise
En haut, à gauche: Steeve Briois, alors vice-président du FN, adresse un doigt d’honneur aux journalistes d’« Envoyé spécial ». En haut, à droite, au centre et en vignettes: réactions antipresse de supporters de François Fillon, lors du rassemblement au Trocadéro et à l’annonce de son élimination. En bas, à gauche: le journaliste du « Petit Journal » Louis Morin malmené par un membre de la sécurité du candidat LR, au meeting de la porte de Versailles, le dimanche 9 avril.