Arts Xavier Veilhan, un Français à Venise
L’artiste XAVIER VEILHAN a été choisi pour représenter la France à la 57e BIENNALE. Il a imaginé d’y créer un STUDIO D’ENREGISTREMENT. Mais son projet fait grincer des dents
Un rhinocéros, rouge comme une Ferrari ; un attelage de chevaux violets – couleur du deuil royal – s’élançant dans la cour d’honneur du château de Versailles; une immense sculpture bleue, portrait de l’artiste français Jean-Marc Bustamante, dressée à New York à l’angle de la 53e rue et de l’Avenue of the Americas : quand il crée, Xavier Veilhan fait ce qu’il faut pour attirer les regards. Formé à l’Ecole nationale des Arts décoratifs, stagiaire à Berlin dans l’atelier du sculpteur Baselitz, cet artiste français agace tout autant qu’il séduit. Pour les uns, il est un faiseur, un fabricant d’objets en série utilisant la hightech (scanners et 3D) pour masquer son incapacité à créer des oeuvres originales. Autant d’objections balayées par ses fans et ses collectionneurs, qui voient en lui un prodigieux brasseur de formes et d’idées, entre techno et baroque, entre Edouard Manet et Renaud Jerez – un jeune plasticien français dont il vient de découvrir le travail. Alors évidemment, quand on a appris au printemps dernier qu’il allait représenter la France lors de la 57e édition de la Biennale de Venise, ça a coincé dans le petit monde de l’art. Catherine Millet signe dans « Artpress » un éditorial acide intitulé « Sélection officielle pour la Biennale de l’Entertainment de Venise ». Son missile est à deux étages : il dénonce un processus de nomination injuste et inapproprié; reprenant un mot de Veilhan, il condamne aussi un projet « festif », le pavillon de la France étant transformé « en salle de concert » durant toute la Biennale. Mais au-delà, ce que Catherine Millet condamne, c’est l’éviction d’un autre artiste français, Pascal Convert, qui entendait rappeler la destruction des bouddhas de Bâmiyân par les talibans en 2001. Pour elle, ce dernier « affronte le réel, l’Histoire » alors que Veilhan ne serait qu’un amuseur public. Pour enfoncer le clou, la critique d’art et écrivain ironise, écrivant que cette sélection a été validée par le ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, et la ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, « tous deux bien connus pour leur connaissance de l’art contemporain ».
Comment Veilhan a-t-il encaissé cette charge? Aujourd’hui, dans son atelier parisien du 20e arrondissement, entre deux gorgées de café, il reconnaît avoir été surpris : « Je me suis senti mis de côté dans cette affaire. Mais je ne suis quand même pas décérébré. Dans le monde de l’art j’ai tout autant de légitimité que Pascal Convert. Alors bien sûr, on peut râler sur le mode de désignation. Deux critiques, Nicolas Bourriaud et Eric Troncy, ont proposé par exemple que le pavillon soit confié cette année à Bertrand Lavier, sans que celui-ci élabore le moindre projet. Je reconnais que cette histoire de dossier à déposer a un côté scolaire; il faut remplir des rubriques, cocher des cases. » Cerise sur le gâteau : les artistes doivent maintenant mentionner les mécènes et soutiens financiers qui pourraient apporter leur concours. Problème : comment un artiste travaillant seul, à l’écart des circuits mondains, peut-il envisager une telle démarche? Xavier Veilhan, lui, le peut. Représenté par la célèbre galerie Perrotin à Paris, il est à la tête d’un atelier qui emploie une dizaine de personnes.
“BRIAN ENO A PRÉVU DE VENIR”
Et le projet, dans toute cette affaire? On peut imaginer que sa nature même vienne bousculer le train-train de l’art contemporain. Veilhan propose d’installer un studio d’enregistrement à l’intérieur du pavillon français. En 1997, on se souvient que Fabrice Hyber avait transformé le même lieu en studio de télévision, diffusant
émissions en direct, documentaires scientifiques (sur les rats ou les tempêtes), séquences de pub et bulletins météo. L’approche de Veilhan est différente. Ce studio va d’abord fonctionner durant toute la Biennale – c’est-à-dire pendant 173 jours. Son principe? Permettre à des artistes d’enregistrer un titre, un disque entier, ou de se livrer à des expérimentations. Toutes les musiques sont invitées, de la techno au classique, de la chanson au jazz. « Au début, avec les deux commissaires de l’expo, Lionel Bovier [directeur du Mamco à Genève] et Christian Marclay [artiste suisse, auteur notamment de l’extraordinaire montage vidéo de 24 heures “The Clock”], nous pensions avoir des difficultés pour remplir toutes les grilles, sachant que chaque musicien peut occuper le studio durant deux ou trois jours, raconte Veilhan. Ce qui nous a surpris, c’est que tous ceux que nous avons contactés ont donné leur accord pour venir. » Des noms ? Christophe Chassol (compositeur), Chloe (DJ et productrice), Alain Planès (pianiste), Jonathan Fitoussi (compositeur électro). Veilhan a également contacté ses proches, avec lesquels il a déjà mené plusieurs collaborations, ainsi Sébastien Tellier ou Nicolas Godin (du groupe électro Air, avec lequel il s’est produit en concert). Il va aussi solliciter des artistes du label techno Warp et faire venir à Venise un groupe de très jeunes rappeurs d’origine angolaise qui chantent en portugais. Brian Eno a également promis de faire le déplacement : « Je l’ai rencontré au moment où je faisais ma série de sculptures des producteurs de musique [Veilhan a fait le portrait en 3D de Lee Scratch Perry, Rick Rubin, Giorgio Moroder, Daft Punk]. C’est un personnage à la fois très simple, très abordable et très fascinant. J’aime beaucoup ses grandes pièces, comme “Thursday Afternoon”, d’une durée d’une heure. Chaque fois que je l’écoute, je suis surpris par l’emprise qu’elle exerce sur la notion du temps. C’est une musique qui aide à la concentration. Pour Venise, Eno a prévu de venir avec sa fille, qui est une bonne chanteuse. »
Le public pourra donc assister en direct à ces travaux et enregistrements musicaux. Une façon pour Veilhan de renouer avec ses propres affinités : « J’ai longtemps fréquenté les clubs et j’y vais encore, même si je suis loin d’être le plus jeune, se marre-t-il. Même si je ne danse pas, j’aime ressentir la perception physique de la musique et ce côté mantra de la répétition qui peut être donné par un bon DJ et un bon sound system. Mais ce n’est pas seulement lié à la techno. J’aime écouter aussi des compositions de Steve Reich, Philip Glass ou La Monte Young. En fait mon horizon musical ne cesse de s’agrandir. Quand j’étais gamin, j’écoutais des groupes comme Status Quo. Après je suis passé au punk et à la new wave. Comme nous vivions en Normandie, dans la région de Rouen, la musique était une denrée rare, c’était l’enfer pour trouver un album, il n’y avait que des disquaires foireux. »
Elevé dans une famille de la petite bourgeoisie moyenne – son père dirigeait une agence d’ascenseurs –, Veilhan se souvient que ses soeurs et des amis de passage jouaient beaucoup de musique dans la
maison familiale : « Mon studio à Venise s’inspire peut-être finalement de cette pratique où chacun vient jouer un peu comme bon lui semble pendant que les visiteurs l’écoutent en passant – ou en restant, s’ils le désirent. » Une autre influence l’a marqué pour cette entreprise vénitienne. Ce studio, il faut évidemment le construire, tant pour accueillir le public que pour placer le matériel (consoles, enceintes). Or, si la conception de l’ensemble a été réalisée numériquement, sa réalisation est plus rustique, à base de contreplaqué et de bois : « Quand j’étais petit, mon père construisait des bateaux que nous utilisions pour aller à la pêche ou naviguer dans le golfe du Morbihan. Ce n’était pas des bateaux très sophistiqués, c’était des dériveurs genre Optimist ou Vaurien. Mais je n’ai pas oublié la leçon. Quand on veut quelque chose, il faut le faire, le fabriquer, que ce soit un morceau de musique ou une sculpture. Pour moi, être un artiste, c’est être capable d’instaurer cette proximité entre une idée et la forme qu’on choisit de lui donner. » Un manuel à l’ère numérique? Xavier Veilhan joue sur les deux tableaux, affirmant que ce qui lui importe avant toute chose est de créer, à travers cette installation vénitienne, des moments musicaux incertains, fragiles. Le studio peut apparaître lui-même comme une sculpture à l’intérieur de laquelle le public pourra évoluer. Après la Biennale, cette installation va faire étape en 2018 à Lisbonne ainsi qu’à Buenos Aires. L’image frôle le stéréotype : avec ses musiques et son studio, Veilhan fait tomber les frontières de la planète. Mais au-delà, ce sont aussi les murs entre la musique et les arts plastiques qu’il fait chuter. Xavier Veilhan est un musicien plastique.