L'Obs

On en parle L’art est dans le sac

Pour “Masters”, sa collaborat­ion avec Louis Vuitton, l’artiste Jeff Koons a détourné cinq chefs-d’oeuvre, dont “la Joconde”. Le résultat est une ligne d’accessoire­s mikitsch mi-chic, qui renouvelle le mélange des genres

- Par ELVIRE EMPTAZ

La mode adore flirter avec le mauvais goût. Ce tropisme est particuliè­rement visible dans les collection­s actuelles où les pantalons en cuir tressé et les cropped tops rappellent le pire des années 2000. Les designers s’inspirent d’icônes ringardes comme Paris Hilton ou Lil’Kim, et misent sur les « collab ». Un exemple : la créatrice de chaussures branchées Amélie Pichard s’est récemment associée avec son idole Pamela Anderson pour lancer une collection de chaussures 100% véganes. Même les grandes maisons du luxe s’y mettent. Louis Vuitton n’échappe pas à la règle et va très loin dans la démarche. La gri e vient de signer « Masters », une collaborat­ion avec l’artiste américain controvers­é Je Koons.

Les accessoire­s de la ligne ressemblen­t à ceux vendus à la sauvette, aux abords du Musée du Louvre. Cinq toiles de maître, « la Joconde » de Léonard de Vinci, « la Gimblette » de Fragonard, « la Chasse au

tigre » de Rubens, « Mars, Vénus et Cupidon » de Titien et « Champ de blé avec cyprès » de Van Gogh, ont été reproduite­s sur des sacs emblématiq­ues de la marque, avec le nom des peintres en grosses lettres métallisée­s comme le monogramme, qui a été pour la première fois repensé et épuré. A l’intérieur de chaque sac, on trouve une explicatio­n sur le tableau, la reproducti­on d’un autoportra­it de son auteur, sa biographie, ainsi que celle de Jeff Koons, représenté par son propre logo, le fameux lapin gonflable. Les signatures du peintre, de Koons et de Vuitton sont donc mises sur le même plan. Les toiles font partie de la série « Gazing Ball » qu’il a présentée en novembre 2015 à la Galerie Gagosian, à New York. Il avait alors placé des boules bleues réfléchiss­antes, comme celles que l’on trouvait dans les jardins américains où il a grandi, dans les années 1960, devant les reproducti­ons de sculptures et tableaux célèbres.

Dans une vidéo qui promeut l’opération, Koons explique : « Avec Louis Vuitton, nous avons le même objectif. Nous voulons fabriquer quelque chose [...] de désirable. » Puis, « je voulais que ça devienne de l’art. Je pense que ces sacs sont de l’art ». Quoi qu’il en soit, la collection a le mérite de soulever de nombreuses interrogat­ions sur la notion même d’art contempora­in. Questions que le travail de l’artiste soulève depuis ses débuts. « Jeff Koons a toujours considéré que l’art devait être rassurant, analyse Stéphane Corréard, directeur du Salon Galeristes. Il s’amuse avec le fait de vendre le même sac que dans un bazar, mais beaucoup plus cher. Il s’adresse à des gens, les nouveaux riches, qui ont les mêmes goûts que ceux qui vont rapporter ce type de souvenir, mais qui ont cent mille fois plus d’argent que les touristes lambda. C’est ironique et un peu cruel pour les élites d’aujourd’hui ! » On peut en effet percevoir une forme d’humour voire diront certains, de cynisme, dans ce mélange des genres. C’est comme si une frontière était franchie entre la mode, l’art et son histoire. Une forme de mise en abyme qui a un coût, 2 100 euros pour un Speedy by Koons, contre 760 euros pour la version classique.

« Cette collaborat­ion s’inscrit dans le cadre d’un rapprochem­ent intensifié, et parfois décrié, entre le mécénat privé et les musées. Ici, la mode gagne en légitimité en faisant appel à l’art contempora­in qui lui-même fait appel à l’art ancien », ajoute Stéphane Corréard. Louis Vuitton a obtenu l’accord des différents musées abritant les toiles qui ont inspiré Jeff Koons. Ils se réjouissen­t de ce beau coup de pub à l’heure où la multiplica­tion des fondations d’entreprise les prive d’une grande partie du mécénat privé. Le projet, qui aura une suite, a été révélé lors d’un grand dîner mondain, où des stars comme Léa Seydoux, Catherine Deneuve ou Michelle Williams, se sont rendues toutes de Vuitton vêtues. Fait exceptionn­el, la soirée a eu lieu au Louvre, dans la salle des Etats, qui accueille le tableau le plus célèbre du monde, « la Joconde », évidemment relayée sur tous les comptes Instagram des invités privilégié­s. Une jolie façon de boucler la boucle (du sac).

 ??  ?? L’ARTISTE JEFF KOONS PRÉSENTANT SA COLLABORAT­ION AVEC VUITTON.
L’ARTISTE JEFF KOONS PRÉSENTANT SA COLLABORAT­ION AVEC VUITTON.

Newspapers in French

Newspapers from France