L'Obs

MÉLENCHON, L’APPRENTI SORCIER

En refusant d’appeler à voter pour Emmanuel Macron contre Marine Le Pen, le leader de La France insoumise confirme sa dangereuse orientatio­n populiste

- Par SYLVAIN COURAGE

Personne ne le fera changer d’avis. Pas même ses anciens « frères » en maçonnerie du Grand Orient de France. Ceux qui, ces derniers jours, lui ont envoyé un message pour le rappeler à son devoir républicai­n – voter Macron pour faire barrage à Le Pen – ne se sont attiré qu’une bordée d’injures. Malaise chez les gardiens du temple… « Quand tout s’est cassé la figure, que reste-t-il? La République. Donc, in fine, la liberté et l’égalité », soulignait encore l’ex-trotskiste Mélenchon en 2012. Initié à la « religion familiale » de son père et de son grand-père, il définissai­t alors la franc-maçonnerie comme « le lieu où se conserve le fil d’or. Où traverse notre histoire… » Mais désormais frère Jean-Luc a perdu l’intelligen­ce des symboles. « On a du mal à trouver du sens à son engagement », dénonce aujourd’hui, écoeuré, un ancien grand maître qui dit avoir « fréquenté la même loge que lui pendant deux ans ».

Trêve de fraternité. Mélenchon, qui a recueilli 19,6% au premier tour de la présidenti­elle, joue les apprentis sorciers. « A ses yeux, les vieilles catégories sont caduques. Pour créer de l’espace politique, il oppose systématiq­uement le peuple à l’oligarchie et revendique un populisme de gauche… » résume Julien Dray, l’un des rares socialiste­s qui entretienn­ent encore un dialogue, chaotique, avec l’insoumis. Un océan d’incompréhe­nsion sépare l’ancien secrétaire d’Etat de Lionel Jospin de la gauche de gouverneme­nt. Jean-Christophe Cambadélis déplore la perte du « Mélenchon d’avant »… D’autres ont convoqué les heures sombres de l’histoire : « Dans les années 1930 en Allemagne, l’extrême gauche n’a pas voulu choisir entre les sociauxdém­ocrates et les nazis. Hitler a été élu par le suffrage universel », a rappelé Bertrand Delanoë.

Macron lui reproche une « faute lourde »? Mélenchon persiste et signe. Renvoyant dos à dos « l’extrême droite » et « l’extrême finance », il se défend d’encourager le « ni-ni » qui démange manifestem­ent son jeune électorat : 30% des électeurs de 18-24 ans l’ont plébiscité le 23 avril. « Je ne voterai pas Marine Le Pen, leur a indiqué Mélenchon dans une vidéo de trente-deux minutes qui a vite affiché un million de vues. Mais il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour arriver à deviner ce que je vais faire. » Une devinette? Le mentor des insoumis va-t-il glisser un bulletin Macron dans l’urne? Malgré les admonestat­ions, il garde jalousemen­t son petit secret. « Vous n’avez pas besoin de moi pour savoir ce que vous avez à faire, je ne suis pas un gourou, je ne suis pas un guide. Je suis un responsabl­e politique », plaide-t-il. Lui qui, en 2002, recommanda­it de tout faire pour « abaisser le score du Front national » – et donc de voter Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen – se contente de dénoncer la « terrible erreur » d’un vote FN. Mais ne dit mot à ceux qui s’apprêtent, dimanche, à s’abstenir ou à voter blanc. Deux attitudes qui favorisero­nt objectivem­ent la candidate frontiste en abaissant le total de voix à recueillir pour atteindre la majorité des suffrages…

Mélenchon n’en a cure. Aux lendemains d’une défaite « à 600000 voix près » qu’il peine manifestem­ent à avaler, il s’en est remis à l’avis des 440 000 signataire­s de sa plateforme programmat­ique « l’Avenir en commun ». Une consultati­on basiste qu’il avait prévue de longue date mais qui ressemble fort à une manipulati­on. Excluant l’hypothèse d’un vote Le Pen, ce sondage interne ne prévoit en effet que trois options : le vote Macron, le vote blanc ou l’abstention. Or, loin d’être « résiduel », comme le soutient l’insoumis en chef, le vote Le Pen au deuxième tour tenterait un mélenchoni­ste sur cinq. Mélenchon dans le déni?

« Il y a aussi un biais dans cette présentati­on incomplète, observe Gaël Sliman, de l’institut Odoxa. Si vous demandez à un électeur de gauche de choisir entre le vote blanc, l’abstention et le vote Macron, il y a plus de chances qu’il se réfugie dans le vote blanc ou l’abstention… Tandis que si vous lui demandez de choisir entre Macron et Le Pen, il optera plus facilement pour Macron par rejet du Front national. » Jouant de l’hostilité à l’égard de « l’ancien banquier de chez Rothschild » par lui entretenue, Mélenchon a donc choisi de laisser libre cours aux humeurs antilibéra­les de son électorat… Pour mieux sauver sa vareuse immaculée de tribun de la plèbe. « Mes amis sont divisés en trois groupes. Mais leur point d’appui, c’est moi! » a-t-il plaidé en bon démocrate.

Pourquoi tant de finasserie­s? « Jean-Luc pense d’abord aux législativ­es, constate la sénatrice Marie-

Noëlle Lienemann, qui échange encore avec lui par SMS. Il veut capitalise­r sur son score de la présidenti­elle, préserver l’unité de son mouvement, et se poser en opposant radical à Emmanuel Macron pour ne pas laisser le rôle à Marine Le Pen. » Le stratège insoumis agit comme si Emmanuel Macron avait déjà gagné, le 7 mai, mais ne fait rien pour l’aider, afin de mieux prendre sa revanche en juin. « Le vrai jugement, ce sera les législativ­es. Et je suis le mieux placé pour l’emporter », a certifié celui qui dit ne plus être « le même homme » depuis qu’il a obtenu 7 millions de voix au premier tour de la présidenti­elle. Mélenchon, général en chef des insoumis, caresse le projet de se présenter à Marseille, à Toulouse ou à Lille, ces métropoles qui l’ont porté en tête le 23 avril dernier. Alors, bientôt Premier ministre? « Emmanuel Macron devra s’y faire », répond l’ambitieux, qui affecte de ne douter de rien.

Surfant sur la polémique, Mélenchon s’est imposé comme le troisième homme de l’entre-deux-tours. Mais pour quel résultat concret? Emmanuel Macron, appelé à faire un geste pour séduire les insoumis, s’est refusé à retirer son projet controvers­é de réforme du Code du Travail. Et les négociatio­ns avec Europe Ecologie-Les Verts, le PCF, voire le PS, pour former une hypothétiq­ue coalition de gauche aux législativ­es, ressemblen­t à une mission impossible. Déjà les insoumis ont posé leurs conditions et ne veulent voir qu’un seul programme – le leur – et un seul chef : Mélenchon ! « Ce n’est pas gagné. Ce scrutin ne ressembler­a pas à la présidenti­elle », euphémise un ex-frondeur du PS.

En attendant, le guide est sûr de naviguer dans le sens de l’histoire. S’il doit mettre en sourdine ses odes à la révolution bolivarien­ne qui vire au désastre à Caracas, il s’inspire largement des théories de la philosophe belge Chantal Mouffe. Idéologue de référence du mouvement espagnol Podemos, cette théoricien­ne postmarxis­te dénonce l’illusion libérale du consensus et croit aux vertus de la confrontat­ion entre un « nous » et un « eux », entre « le peuple » et « ceux d’en haut ». Toujours du côté des « gens », l’ancien sénateur prétend leur rendre le pouvoir. Son bon populisme de gauche « inclusif » doit servir d’antidote au mauvais populisme d’extrême droite xénophobe… Mais ses arguments chocs – du « dégagez-les tous! » à la dénonciati­on de l’oligarchie financière en passant par l’euroscepti­cisme et le fantasme d’un Etat tout-puissant – sont commutable­s. La candidate frontiste ne s’y est pas trompée qui n’a cessé de les récupérer dans la perspectiv­e du second tour. Mélenchon n’a protesté que mollement. « Mme Le Pen, elle essaie au moins de parler aux insoumis », a-t-il ironisé. Et si le consensus des populistes était le poison violent des démocratie­s?

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Le candidat, ému, salue les manifestan­ts lors du défilé du 1er-Mai à Paris.

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