L'Obs

DUPONT-AIGNAN, L’IDIOT UTILE

Pour le député de l’Essonne, gaullisme et extrémisme étaient jusqu’ici incompatib­les. Mais après le 23 avril, tout a changé. Récit d’une conversion très intéressée

- Par MARIE GUICHOUX et MAËL THIERRY

Le Front national peut lui dire merci. En signant une alliance de gouverneme­nt avec Marine Le Pen, et en s’affichant à ses côtés, Nicolas Dupont-Aignan, candidat de Debout la France, a fait sauter une digue. Il sort le parti d’extrême droite de son isolement et rompt pour la première fois le cordon sanitaire établi autour de lui depuis sa fondation. Jusqu’à ces derniers mois, le député de l’Essonne soulignait pourtant avec vigueur sa différence – « je suis gaulliste, ça n’a rien à voir » – et renvoyait la candidate frontiste à son « extrémisme ».

Pourquoi le député-maire d’Yerres, dans l’Essonne, a-t-il finalement cédé aux sirènes frontistes, au grand dam de nombre de ses amis et de trois vice-présidents de son parti qui ont aussitôt annoncé leur démission? Jusqu’à une période récente, le souveraini­ste ne semblait pas avoir d’atomes crochus avec Marine Le Pen. « A quinze jours du premier tour, il parlait encore de son “patriotism­e humaniste”, il mettait en avant son républican­isme insoupçonn­able par rapport à l’esprit “légèrement” fermé du Front national », raconte Dominique Jamet, qui a démissionn­é de DLF en dénonçant « une faute morale ».

« Cela s’est fait dans le plus grand secret, avec un petit groupe de fidèles et en dehors des principaux cadres de notre mouvement », dénonce ce dernier. L’ex-vice-président s’était inquiété de « l’analogie croissante des discours, des rapprochem­ents idéologiqu­es très réels » que lui et d’autres

observaien­t. Il avait questionné Nicolas Dupont-Aignan et ses collaborat­eurs les plus proches. En guise de réponse, « on nous rappelait notre filiation avec Philippe Séguin, le général de Gaulle… Et puis, nous avions notre slogan de campagne “Ni système, ni extrême”. On se pensait protégés de tout rapprochem­ent ».

Mine de rien, Nicolas Dupont-Aignan avait pourtant bel et bien amorcé sa manoeuvre. Dans le petit parti souveraini­ste, les premiers fidèles, suspectés de chevènemen­tisme ou de républican­isme intransige­ant vis-à-vis du FN, sont peu à peu écartés. Tandis que quelques jeunes influents dans l’entourage du président de DLF, et pour certains venus des rangs frontistes, le poussent discrèteme­nt à faire le grand saut. Il avait déjà rencontré Florian Philippot, au Lutecia, une première fois. Une entrevue sans suite. Marine Le Pen, à l’époque toute à sa stratégie ni gauche-ni droite, se montrait dubitative. « Rien n’est fait pour que je vienne », avait confié Dupont-Aignan à un ami. Les affaires de Fillon pendant la campagne convainque­nt Marine Le Pen de changer de stratégie et de rechercher une alliance à droite. Dans l’entourage de la candidate frontiste, ils sont alors plusieurs à travailler à ce rapprochem­ent. A commencer par Philippe Olivier : le mari de Marie-Caroline Le Pen, plume et conseiller influent de la candidate, a par le passé été dans les rangs de Debout la France. Olivier et Dupont-Aignan entretienn­ent une relation amicale depuis longtemps, nouée à l’occasion d’élections locales dans l’Essonne. « J’ai beaucoup d’estime pour lui, il a de la droiture, de la gentilless­e, c’est un travailleu­r infatigabl­e, reconnaît Philippe Olivier. Quand on se voit, on parle du bien commun, de la France. Les gens de Debout la France sont des amis. » Un autre cadre frontiste aurait aussi oeuvré : le souveraini­ste Paul-Marie Coûteaux raconte en effet avoir mis en contact Dupont-Aignan et le secrétaire général du FN Nicolas Bay, lors d’un dîner en 2015. A l’Assemblée nationale, Marion Maréchal-Le Pen, partisane d’une union des droites, a, elle, l’habitude d’échanger avec son collègue de l’Essonne.

Selon « le Journal du Dimanche », Le Pen et Dupont-Aignan ont dîné une fois ensemble pendant la campagne. Hormis cela ? Aucun contact direct avant le 23 avril, jurent leurs entourages. « Tout s’est dénoué au lendemain du premier tour. Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen se sont alors vus dans l’appartemen­t d’un particulie­r, raconte un cadre frontiste. En tout, il y a eu trois rencontres dont la dernière vendredi pour sceller leur accord. » Le président de Debout la France avait deux exigences : d’une part que le FN renonce à vouloir faire payer la scolarité des enfants étrangers pendant une période de carence de deux ans. D’autre part, repousser le délai de six mois voulu par Marine Le Pen pour organiser le référendum sur l’euro. D’où un changement notable sur la question européenne inscrit dans l’accord de gouverneme­nt entre les deux formations : la candidate frontiste ne parle plus d’une sortie nette et franche de l’euro après négociatio­ns avec Bruxelles si elle n’obtient pas que la France renoue avec sa souveraine­té, mais d’une négociatio­n pour aller « vers une transition de la monnaie unique à la monnaie commune ». Le changement de pied est confus mais qu’importe si l’alliance est à ce prix.

En guise de remercieme­nt, le nouvel allié se voit publiqueme­nt intronisé Premier ministre par Marine Le Pen si elle est élue le 7 mai prochain. Les deux candidats ont aussi scellé un accord législatif: ils partiront sous la casaque de leur parti, mais procéderon­t à des désistemen­ts réciproque­s dans un certain nombre de circonscri­ptions. De quoi permettre à DLF d’espérer un groupe au Palais Bourbon où il pourrait accueillir les brebis égarées des Républicai­ns ?

Selon un responsabl­e politique, qui le connaît bien, Dupont-Aignan a aussi été ébranlé par l’appel d’une personnali­té, la souveraini­ste Marie-France Garaud, qui a apporté son soutien à Marine Le Pen : « Elle a toujours beaucoup aimé Nicolas. Ils se sont parlé. » Autre personnage qui aurait apporté sa pierre à l’entente: Patrick Buisson. Dans les deux cas, Dupont-Aignan dément.

La rupture du député avec la droite, en particulie­r sur la question de l’Europe, était consommée depuis longtemps. Dans sa première famille politique, il a tout connu – François Bayrou dont il fut le chef de cabinet au ministère de l’Education, le RPR, le RPF de Pasqua – sans se voir reconnu. Il a souvent eu le sentiment d’être méprisé. Philippe de Villiers ne l’avait-il pas surnommé « Ducon Gnangnan »? A l’automne dernier, son ami Paul-Marie Coûteaux, ex-allié du FN avant de soutenir Fillon, avait tenté de le dissuader de se présenter à la présidenti­elle pour préserver les chances de la droite. Il avait refusé tout en se fendant d’un SMS de félicitati­ons au vainqueur de la primaire… resté sans réponse.

Derrière sa conversion au « marinisme », certains suspectent aussi un accord financier : le candidat de DLF n’a en effet pas recueilli les 5% nécessaire­s (4,7%) au remboursem­ent de ses frais de campagne. L’alliance scellée lui garantirai­t-elle ce remboursem­ent ? Un proche n’y croit pas du tout : « Sa campagne a coûté 1,5 million d’euros, le découvert est de 500 000 euros. Il n’a pas de souci pour éponger cette dette avec les prochaines législativ­es. » C’est un choix politique et personnel qui l’a conduit à franchir le pas. « Nicolas va beaucoup gagner dans cette entreprise. Il va être un architecte de la recomposit­ion de la droite », estime Coûteaux, éternel partisan d’une union de la droite et du FN. Pour Dominique Jamet, « l’impatience et la lassitude d’un parcours très long l’ont emporté sur la raison ». Avec ses 1,8% des suffrages exprimés en 2012 puis, cinq ans après, moins de 5%, ses chances d’être un jour président étaient proches de zéro. Dans cette semaine de bascule, l’homme de 56 ans a aussi perdu sa mère à la veille de l’officialis­ation de son accord avec le FN. Un de ses amis en est persuadé : « Je suis sûr que Nicolas est mal à l’aise avec luimême après ce qu’il vient de faire. » A lui, l’enfer de Matignon si d’aventure Marine Le Pen gagnait le 7 mai. En cas d’échec, ce sera l’enfer tout court. Il restera dans les annales comme celui qui a achevé de banaliser l’extrême droite.

DANS SA PREMIÈRE FAMILLE POLITIQUE, IL A SOUVENT EU LE SENTIMENT D’ÊTRE MÉPRISÉ. PHILIPPE DE VILLIERS NE L’AVAIT-IL PAS SURNOMMÉ « DUCON GNANGNAN » ?

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