COMMENT LE PEN TROMPE LES CLASSES POPULAIRES
Dépenses non financées, chasse aux immigrés, sortie périlleuse de l’UE, cadeaux fiscaux aux familles aisées, école à deux vitesses… Rien dans ce que Marine Le Pen propose n’en fait une “candidate du peuple”
Les images en disent parfois plus long que les mots. Au soir du premier tour, celles montrant la joie des électeurs de Marine Le Pen à Hénin-Beaumont et celles filmées au QG d’Emmanuel Macron à la Porte de Versailles montraient deux France. Une France des grandes villes, aisée, proprette, diplômée, confiante ; une France de la périphérie, bien plus populaire, celle des petites villes durement frappées par la désindustrialisation, qui s’appauvrit et se sent de plus en plus à l’écart des progrès technologiques. Celle des tribunaux qui ferment, des médecins qui s’éloignent, des activités qui s’évanouissent.
La patronne du Front national, « candidate du peuple » autoproclamée, sait faire preuve d’une empathie forte pour ces oubliés de la mondialisation : la séance des selfies avec les ouvriers de Whirlpool en était une parfaite illustration. Mais son programme, dont la seule cohérence est la xénophobie, profiterait-il vraiment à ces Français modestes, permettrait-il de resserrer les inégalités, de remettre l’ascenseur social en route, de créer de l’emploi ? Non : c’est vers une aggravation du sort des catégories populaires qu’il mènerait tout droit.
Démontage de ses fausses promesses en cinq lieux.
A LA BANQUE LE RISQUE D’UNE PANIQUE MONSTRE
Sortira, sortira pas de l’euro ? Marine Le Pen hésite, prise à son propre piège. Dans son programme, elle a écrit noir sur blanc qu’elle souhaitait « rétablir une monnaie nationale ». Toutes ses promesses reposent sur cette hypothèse. Au cours d’un petit déjeuner avec des chefs d’entreprise, début mars, elle a reconnu : « Si je ne sors pas de l’Union européenne, je ne peux pas mettre en oeuvre 70% de mon programme… » Seulement voilà : seuls 28% des Français sont prêts à sortir de l’euro (sondage Elabe pour « les Echos »). Alors la candidate du FN louvoie, profite de l’accord de gouvernement avec Nicolas Dupont-Aignan pour distiller le doute. Elle répète qu’elle ne fera rien sans référendum… Le hic, c’est que les marchés financiers n’attendront pas. Pour les investisseurs du monde entier, son élection est synonyme de « Frexit ». Dès le lundi matin, les étrangers qui possèdent 60% de la dette française vendront massivement leurs titres pour acheter des obligations allemandes ou américaines. Conséquence immédiate, les taux d’intérêt français s’envoleront. Ils sont aujourd’hui de 1% pour l’Etat, ils monteront à4%, 8%, voire à 20% selon certains économistes. Et cela ne touchera pas seulement les « oligarques » que dénonce le FN. Les ménages, les artisans, les PME, tous les débiteurs seront tout de suite concernés. La promesse frontiste de « diviser par deux le taux d’intérêt
maximum (taux d’usure) pour les emprunts et les découverts (agios) » en deviendra risible.
Il y aura beaucoup plus grave. Pour l’économiste belge Bruno Colmant, pourtant auteur d'un livre très critique sur le fonctionnement de la monnaie unique (1), « si Marine Le Pen gagne, il y aura un “bank run” (retrait massif des dépôts dans les banques, ndlr), l'argent ira sur des comptes à l'étranger, l'épargne sera bloquée, la mobilité internationale des personnes sera réduite. Ce qui peut conduire à des troubles sociaux. Croire que l'on peut sortir de l'euro de façon anodine est naïf. Le chaos dépasserait de loin la France et entraînerait d'autres pays, à commencer par ceux du Sud ». Comme en Grèce en juin 2015, les autorités n’auront pas d’autre choix que d’instaurer un contrôle des capitaux et de fermer temporairement les banques. La Banque de France se prépare à tous les scénarios. Quand le calme reviendra, le bilan risque d’être terrible : projets d’investissements stoppés net, faillites en cascade, croissance plombée (au passage, la prévision de croissance de 2,5% du programme, sur laquelle est basé le financement de bien des mesures, est carrément fantaisiste). Dans ce chaos, « les plus riches s’en sortiront toujours », constate Philippe Gudin, économiste chez Barclays. Pas les plus pauvres. A noter que les assurances-vie Le 25 avril, la candidate du Front national menait campagne au marché de Rungis. ne sont pas réservées aux premiers : un quart des ouvriers en ont une.
AU SUPERMARCHÉ UN POUVOIR D’ACHAT DÉPRÉCIÉ, DES PRIX EN HAUSSE
Marine Le Pen se veut la candidate du pouvoir d’achat, une des principales préoccupations des Français. Elle entend revaloriser le minimum vieillesse, défiscaliser les heures supplémentaires, instaurer une prime de 80 euros par mois pour les salaires et retraites de moins de 1 500 euros. Problème : la dépréciation du nouveau franc qu’elle envisage, après la sortie de la France de l’UE et de la zone euro, effacerait tous ces coups de pouce, car elle augmenterait mécaniquement le prix des biens importés : essence, fruits et légumes, vêtements, électroménager, automobile… Si la dépréciation du franc est de 20%, la ponction sur le pouvoir d’achat représentera 5%.
A cet impact s’ajoutera celui de la taxe de 3% sur les importations, censée financer la fameuse prime de 80 euros. Car il va de soi que cette taxe sera répercutée sur les prix : c’est même le but de l’opération, puisqu’il s’agit de dissuader les consommateurs d’acheter étranger. « Il y a une contradiction : si la taxe parvient à limiter les importations, elle réduira d'autant le financement de la prime », relève Rémi Bazillier, professeur à Paris-1. Et les ménages modestes seront les premiers frappés par ces hausses de prix. Pour une raison simple : comme ils épargnent très peu, l’essentiel de leur revenu est consacré à la consommation. Pour soutenir le pouvoir d’achat, Marine Le Pen promet aussi des baisses d’impôt. Mais elles ne visent pas les plus pauvres, loin de là : seuls ceux qui sont assujettis à l’impôt sur le revenu sont visés. Et certains cadeaux visent carrément les riches, comme la hausse du plafond du quotient familial ou l’allègement des droits sur les donations.
A L’USINE DES NATIONALISATIONS EN TROMPE-L’OEIL
La présidente du Front national clame qu’elle empêchera les usines de fermer, quitte à les nationaliser, comme elle l’a affirmé aux salariés de Whirlpool. Mais est-ce possible ? Marine Le Pen est loin d’être la première à vouloir tordre le bras des multinationales pour sauver l’emploi des ouvriers. Tous les gouvernements
essaient, souvent en vain. Depuis 2005, les pouvoirs publics ont introduit une « obligation de revitalisation des territoires » pour les entreprises de plus de 1 000 salariés qui ferment un site, puis une obligation de chercher un repreneur (loi Florange, votée sous Hollande). Marine Le Pen ira-t-elle plus loin ? Rien de précis.
En revanche, la candidate est un repoussoir pour les entreprises étrangères qui cherchent à s’implanter en France. L’an dernier, la France a accueilli 1 117 projets, avec à la clé 30108 emplois. « Les entreprises étrangères assurent 30% des exportations et emploient 1,8 million de salariés », rappelle Business France. Le projet frontiste menace aussi les exportateurs, comme le souligne Vincent Vicard, qui enseigne l’économie à l’université Paris-Dauphine : « Croire que l'on va augmenter de 3% les droits de douane sans que les partenaires commerciaux ne fassent de même est bien naïf. Ce qui posera un problème pour les débouchés de nos exportateurs », soit 125 000 entreprises faisant vivre 5 millions de salariés. Les ouvriers peuvent-ils se consoler par de meilleures conditions de travail ? Avec des syndicats que le FN entend affaiblir, rien n’est moins sûr. Marine Le Pen promet certes le retour de la retraite à 60 ans après 40 années de cotisations, mais ne dit pas comment elle finance cette mesure : 20 milliards selon l’Institut de l’Entreprise, 40 milliards selon l’économiste Patrick Artus.