Le Saint-Simon de la mode
CINQUANTE ANS D’ÉLÉGANCES ET D’ART DE VIVRE, PAR CECIL BEATON, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR DENISE BOURDET, SÉGUIER, 352 P., 22 EUROS.
« Physiquement Dior ressemble à un aimable curé de campagne, en massepain rose. » En deux lignes, on voit que Cecil Beaton (19041980) est un écrivain. A propos du génial couturier, il ajoutait : « Sa tête, en forme d’oeuf, ne sera jamais tournée par le succès. » Qu’aurait-il pensé de ces modeux qui confondent aujourd’hui frime et élégance, clinquant et luxe ? Le pire, comme il eût détesté la presse people, les tabloïds et le bleu de travail, considérant que le seul uniforme qui convenait aux activités laborieuses était le smoking. Né à Londres, il fit carrière dans les grands magazines de mode (« Vogue », « Vanity Fair ») et devint portraitiste o ciel de la famille royale en 1937. Au cours de sa carrière, il tira le portrait de Winston Churchill, Mick Jagger, Maria Callas, Jane Birkin, Greta Garbo et Marilyn Monroe.
Dans ce livre de souvenirs, le Saint-Simon du beau monde (période faste, 1930-1950) multiplie anecdotes et considérations philosophiques sur l’histoire du vêtement. Ainsi note-t-il que « c’est une des ironies du sort que le développement de la mode masculine soit allé contre la nature, qui veut que dans l’espèce animale le mâle soit plus brillamment paré que la femelle ». Il évoque Coco Chanel, sa manie de porter, soir et matin, des quantités de bijoux. « Je ne sais plus qui a dit, ajoute-t-il, qu’il vaut mieux être mort que démodé. » Lui, peut-être. Beaton fut l’ami des princes et des couturiers, qui aimaient son esprit charmant, distingué, et qu’il leur rappelle le temps où on pouvait entretenir une importante domesticité. Même lorsqu’il évoque sa naissance, il ne cite pas de date mais se réfère à la reine Victoria, morte trois ans avant qu’il ne voie le jour. « Ma venue en ce monde a coïncidé avec l’apparition des premières voitures sans chevaux et de la lumière électrique. » En somme, le commencement de la fin. Notre époque n’était pas faite pour lui, sauf la princesse Lady Di : « L’e et produit par sa luminosité est tel que l’on croit voir toutes les lampes s’éteindre quand elle entre dans une pièce. Cependant Lady Diana pense à elle-même comme à une brune et elle a beaucoup de traits de caractère qui sont d’une bohémienne. »