L'Obs

Avant-postes

- Par MATTHIEU CROISSANDE­AU M. C.

On en est donc là, à enfoncer des portes ouvertes… La confusion des valeurs est telle, la déferlante populiste si forte, les appels à faire table rase si pressants qu’il paraît aujourd’hui nécessaire, sinon vital, de prendre la plume pour écrire noir sur blanc que non, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, ce n’est pas pareil ! Ce qui relevait de l’évidence il y a quinze ans deviendrai­t presque un tour de force. Il faut désormais prendre des pincettes, commencer par s’excuser, se défendre de vouloir faire la morale, développer des trésors de persuasion, solliciter l’histoire autant que l’arithmétiq­ue électorale pour expliquer que le risque existe de voir le Front national remporter la présidenti­elle. Et que ce serait une tragédie pour notre pays, pour ses valeurs et surtout pour ses concitoyen­s. Alors insistons une fois encore, quitte à verser dans le truisme, pour les derniers hésitants : le candidat d’En Marche ! – quoi que l’on pense de son parcours, de sa posture ou de son programme – n’a RIEN à voir avec son adversaire d’extrême droite. Il est républicai­n. Pas l’autre.

La banalisati­on du FN a fait des ravages dans les cerveaux, jusque dans les derniers jours de la campagne. Qui peut sérieuseme­nt s’ébaudir du formidable entre-deux-tours de Marine Le Pen, quand on l’a vue la même semaine faire des selfies tout sourire avec des ouvriers en pleurs, nommer puis démissionn­er un apprenti négationni­ste à la tête de son parti, se déguiser en marin pêcheur pour se lancer des poulpes à la figure avec Gilbert Collard, ou faire machine arrière sur la sortie de l’euro qui constituai­t pourtant la pierre angulaire de son programme ? Mais où diable ont-ils la tête, ces ni-nistes de gauche qui reprennent avec ferveur le « blanc bonnet, bonnet blanc » du stalinien Jacques Duclos ? Qu’arrive-t-il à ces « grands » intellectu­els qui leur emboîtent le pas, à coups de tweets ou de tribunes? Par quel raccourci de la pensée peut-on sérieuseme­nt déclarer que voter pour l’ancien ministre de l’Economie ne ferait que retarder une funeste échéance et en déduire du même coup qu’il vaut mieux ne rien faire, quitte à accélérer le mouvement ?

Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, pire irresponsa­ble que celui qui ne veut pas comprendre. Le front républicai­n n’a jamais empêché la progressio­n du FN, c’est vrai. Mais il a permis, chaque fois que ce dernier s’en approchait, de l’écarter fermement du pouvoir. Là est la responsabi­lité immense de Nicolas DupontAign­an, mais aussi de Jean-Luc Mélenchon. Quand le premier fait sauter la digue, le second prend le risque de regarder passer les cadavres au fil de l’eau. En criant dans les manifs « ni patrie ni patron », en pérorant que les électeurs n’auraient le choix qu’entre l’extrême droite et l’extrême finance, les insoumis hurlent avec les loups du camp d’en face qui dépeignent Macron en banquier rapace, en « p… » ou en « enc… », comme le crie la foule frontiste dans ses meetings. S’abstenir ou voter blanc quand le Front national est au deuxième tour, ce n’est pas refuser de se soumettre, mais risquer son propre asservisse­ment. Triste spectacle.

“LE FRONT RÉPUBLICAI­N N’A JAMAIS EMPÊCHÉ LA PROGRESSIO­N DU FN MAIS IL A PERMIS, CHAQUE FOIS QUE CE DERNIER S’EN APPROCHAIT, DE L’ÉCARTER DU POUVOIR.”

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