L'Obs

NOUS SOMMES ABÎMÉS

- Par MARIE DARRIEUSSE­CQ Ecrivain

J e me suis réveillée à 3 heures du matin en proie à des sentiments mêlés. J’aurais eu besoin d’un doudou. Je dors seule, si vous voulez tout savoir. L’insomnie mène au divorce, si on ne prend pas des mesures drastiques. Dormir avec un ou une insomniaqu­e est un sport de combat. Donc, à 3 heures du matin, au sortir d’un rêve agité, je me dis que j’ai participé à élire une sorte de doudou. Un objet transition­nel pour faire barrage entre le FN et moi. Je sais gré à Emmanuel Macron d’avoir fait barrage entre Marine Le Pen et moi, comme je sais gré aux flics de faire barrage entre moi et les terroriste­s. Ce que Macron a supporté lors du dernier débat, je n’y aurais pas tenu. Le désaccord de la musique, la fausseté du style. J’étais tétanisée, à m’en boucher les oreilles. Voilà ce que je me dis à 3 heures du matin sous ma couette, plusieurs nuits après cette épuisante campagne. Et cette obligation de s’intéresser jour après jour au politique ! Passation de pouvoir ou pas, j’ai besoin de quelques jours de vacances. Quelques jours à contempler les hirondelle­s, qui, par endroits, sont revenues.

J’avais mis le champagne au frais, le soir du premier tour, si jamais Le Pen n’était pas au second. MacronMéle­nchon, ç’aurait été une campagne stimulante. Un peu d’air. Des idées. Du style, oui. Les absentionn­istes ne l’auraient pas été, ou n’auraient pas été les mêmes. Tous ces ni-ni qui tiennent à leur petit confort rebelle, extra-électoral, je leur en veux encore. Mais nous avons tous bu un drôle de champagne, pendant cette campagne. Nous l’avons bu jusqu’à la lie. Des semaines à entendre vitupérer l’extrême droite. Quand j’y pense, je me demande s’il y a de la lie dans le champagne. Dans le vin rouge, oui ; mais dans le champagne ? Le genre de question qui fait des bulles à 3 heures du matin. J’attrape Nietzsche, celui-là même que les nazis ont vainement tenté de récupérer : « Il y a un degré d’insomnie, de rumination, de sens historique au-delà duquel l’être vivant se trouve ébranlé et finalement détruit. Qu’il s’agisse d’un individu, d’un peuple ou d’une civilisati­on. Pour déterminer ce degré, […] il faudrait savoir précisémen­t quelle est la force plastique de l’individu, du peuple, ou de la civilisati­on en question. Je veux parler de cette force qui permet à quelqu’un de se développer de manière originale et indépendan­te, de transforme­r et d’assimiler les choses passées ou étrangères, de guérir ses blessures, de réparer ses pertes, de reconstitu­er sur son propre fonds les formes brisées. » Cinq ans pour réparer. La résilience ou crever.

Nous sommes abîmés. Rarement s’est-on aussi peu amusé à exercer son droit de vote. Rarement un isoloir fut un lieu aussi peu joyeux. Alors, du nerf. Marchons. Et ce quinquenna­t sera peut-être l’occasion d’envoyer aux oubliettes le pénible vers de la Marseillai­se, « qu’un sang impur abreuve nos sillons ». Marcher est en tout cas un des meilleurs remèdes contre l’insomnie : les spécialist­es recommande­nt au moins une heure de marche par jour. Et de ne jamais, jamais faire de sieste. Benoît Hamon, interrogé sur RTL pour savoir ce qu’il ferait s’il n’était pas au second tour, avait répondu : « Une bonne sieste »… Gare aux insomnies à venir. Et je tourne et je vire dans mon lit en imaginant ce à quoi nous avons échappé : Dupont-Aignan Premier ministre, Robert Ménard à l’Intérieur, Philippe de Villiers aux Armées, Henri Guaino aux Affaires étrangères, Florian Philippot aux Affaires sociales, Marion Maréchal-Le Pen à l’Education, Gilbert Collard à la Justice, Renaud Camus à la Culture… Insomnie rétrospect­ive.

“TOUS CES NI-NI QUI TIENNENT À LEUR PETIT CONFORT REBELLE, EXTRAÉLECT­ORAL, JE LEUR EN VEUX ENCORE.”

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