NE TOURNONS PAS TROP VITE LA PAGE DE L’EXTRÊME DROITE
L e Pen a perdu. Alléluia ! Grâce soit rendue à Emmanuel Macron d’avoir gagné ce combat. Après la défaite de Geert Wilders, aux PaysBas, 2017 tourne le dos à l’annus horribilis que fut 2016, celle de Trump et du Brexit. Reste toutefois à comprendre l’essentiel : comment Marine Le Pen est-elle parvenue à capter près de 11 millions de voix, le double de son père, malgré une sortie de route, durant le débat du deuxième tour, qui ne laissait aucun doute sur sa personnalité ? Le commentaire récurrent a été celui d’une France coupée en deux, celle des gagnants et des perdants de la nouvelle économie. Mais est-ce à dire qu’une reprise de la croissance et une baisse du chômage su raient à dissoudre le FN ? C’est peu probable.
L’économie est certes un facteur explicatif important du vote Le Pen. Une analyse statistique montre que le chômage et la désindustrialisation jouent un rôle très significatif. Les ouvriers sont surreprésentés parmi les électeurs de Le Pen, lesquels comptent, plus généralement, parmi les Français les plus pessimistes, ceux dont l’horizon d’existence s’est bouché. Or c’est au cours des dix dernières années, selon les enquêtes de l’institut Gallup, que la confiance en l’avenir des classes sociales les plus défavorisées a chuté, relativement au reste de la population. La crise qui s’est installée depuis 2008 a manifestement joué un rôle clé dans cette évolution.
Le vote pour le FN ne se nourrit pas, pour autant, des seules di cultés matérielles de ses électeurs. Il exprime aussi leur soif de repères moraux. Son discours autarcique et xénophobe est à l’usage de ceux qui sou rent de la dissolution de l’ancienne société industrielle, hiérarchique et patriarcale. A preuve, comme l’a très bien montré Hervé Le Bras, la grande coupure du pays selon l’axe Le Havre-Marseille, est la marque d’une di culté sociologique ancienne du flanc est de la France à faire face à la désertification de ses territoires. A l’inverse, le rejet du FN dans les grandes villes ne traduit pas seulement leur situation économique, mais témoigne aussi des remèdes qu’elles apportent à la solitude sociale. Les deux dimensions, économique et morale, du vote Le Pen sont intimement liées, sans être équivalentes. Les électeurs qui ont voté Le Pen ont acquis une force idéologique propre qui risque de survivre aux causes qui l’ont fait naître. Que vont-ils devenir à présent ? Errer dans le labyrinthe d’un système politique qui les utilise comme repoussoirs, comme les communistes au temps de De Gaulle ? Descendre dans la rue, agréger leur colère aux autres ressentiments, dans un Mai-68 à l’envers ? Ou suivre la voie qu’emprunta la gauche pour sortir de l’impasse gaullienne, en changeant de ligne, et de che e, pour forger une alliance avec les partis de gouvernement, dans le cas présent avec la droite dure, celle qui restera dans l’opposition au nouveau pouvoir ? Aucun de ces scénarios n’est réjouissant. Mais la campagne qui s’achève a montré qu’aucune hypothèse ne pouvait plus être exclue.