L'Obs

POUR UNE RENAISSANC­E EUROPÉENNE

Essayiste, auteur de « Notre France. Dire et aimer ce que nous sommes ».

- Par RAPHAËL GLUCKSMANN

Certains symboles valent bien des discours. Alors qu’un tsunami nationalis­te menace notre continent, entendre résonner la Neuvième Symphonie de Beethoven un soir d’élection en France a soulagé – et même réjoui – ceux d’entre nous qui croient encore dans le projet européen. Dans un monde que l’on pensait promis à Donald Trump et Vladimir Poutine, au césarisme autoritair­e et au repli sur soi, les notes de l’« Hymne à la joie » esquissère­nt, ce 7 mai 2017, la possibilit­é d’une renaissanc­e européenne. La possibilit­é, juste la possibilit­é. Ce qui est déjà immense.

Il n’y aura pas, de ce point de vue, d’état de grâce. Les symboles comptent, mais ils ne durent pas s’ils ne sont pas rapidement nourris de substance. En faisant barrage à Marine Le Pen, en balayant les ingérences poutinienn­es et en plaçant à l’Elysée un représenta­nt de la « génération Erasmus » aux meetings pavanés de drapeaux bleus étoilés, les électeurs français ont offert un sursis à l’Union européenne. Pas un blanc-seing. Les résultats du premier tour – une énième reproducti­on de la carte électorale du non de 2005 – n’ont pas été invalidés par le score du second, et la présidenti­elle française n’a pas effacé les scrutins précédents, ici ou ailleurs. Pour que le sursis se transforme en sursaut, il faut que les choses changent en Europe.

Emmanuel Macron a une responsabi­lité historique sur les épaules. Oser défendre un projet supranatio­nal dans des temps de prurit cocardier est courageux. Affronter les failles, profondes, de ce projet pour lui redonner sens l’est encore plus. Nous savons que notre nouveau président aime l’Europe. C’est une excellente nouvelle. Mais le précédent l’aimait aussi, avec les résultats que l’on sait. Et nous avons encore du mal à saisir ce qu’Emmanuel Macron entend changer en elle pour la sauver. Or ce flou fut précisémen­t ce qui condamna François Hollande au rôle de spectateur du déclin, regardant avec tristesse les (mauvais) trains de l’Histoire passer tout en alertant avec une émotion non feinte sur les risques nationalis­tes.

On dit son jeune successeur et ancien conseiller obsédé par l’idée de ne pas reproduire le schéma du quinquenna­t écoulé. Tant mieux. Sur la question européenne, cela passe par une feuille de route claire sur la démocratis­ation des institutio­ns, l’harmonisat­ion sociale, la transition écologique, la création d’une défense commune. Et, donc, par une discussion franche avec Angela Merkel.

Berlin doit comprendre que le statu quo – qui profite à court terme à l’économie allemande – signifie la mort à plus ou moins longue échéance de l’UE, car, contrairem­ent à ce que certains pensent encore à Bruxelles, on ne construira l’Europe ni contre, ni même sans les peuples. Le président Macron a bonne presse outre-Rhin, l’amour qu’on lui porte est à la mesure de la crainte qu’on a eue d’un triomphe lepéniste. Il a une fenêtre d’opportunit­é d’autant plus grande qu’il fut l’un des seuls ministres français à soutenir publiqueme­nt la politique d’accueil des réfugiés de la chancelièr­e, à un moment clé où le premier d’entre eux, Manuel Valls, lui plantait des couteaux dans le dos à Munich et où la quasi-totalité des dirigeants européens regardaien­t leurs souliers lorsqu’elle leur demandait de l’aide. Ne pas profiter de cette bienveilla­nce, éphémère et relative, pour mener l’offensive condamnera­it son quinquenna­t. Et bien plus encore.

Même les plus « européiste­s » d’entre nous sont fatigués. Fatigués de descendre dans l’arène pour sauver une Union dirigée par l’ancien ministre des Finances d’un paradis fiscal, M. Juncker. Fatigués de voir le rêve politique de Victor Hugo se limiter à des directives de dérégulati­on économique et des négociatio­ns tatillonne­s sur les déficits. Fatigués de devoir résister aux passions nationalis­tes sans avoir rien d’exaltant à promouvoir face à elles. Fatigués de recourir à la mémoire jaunie des drames passés pour sauver ce qui devrait être l’aventure collective la plus enthousias­mante du xxie siècle, un nouvel espace de conquêtes sociales et démocratiq­ues, l’horizon et l’aimant de nos engagement­s civiques. Si rien ne change, la prochaine fois, les castors seront las, et le barrage prendra l’eau de toute part.

Face aux régression­s identitair­es, au vieux capitalism­e fossile écodestruc­teur, aux tentations autoritair­es, à la brutalisat­ion des moeurs politiques et au délitement des solidarité­s sociales, l’Europe doit offrir aux citoyens autre chose comme visage et comme avenir que l’orthodoxie financière de l’inamovible M. Schäuble. Redevenir un rêve contempora­in pour ne pas finir comme le perroquet de Félicité dans « Un coeur simple », de Flaubert : une icône empaillée, moisie, rongée par les vers, devant laquelle se prosterne une vieille dame aveugle se souvenant des songes qu’elle eut jadis. Elle sera un projet de civilisati­on. Ou ne sera pas.

Newspapers in French

Newspapers from France