L'Obs

François Ozon : « J’adore filmer les scènes de sexe »

Quatre ans après “Jeune et jolie”, FRANÇOIS OZON retrouve CANNES et Marine Vacth avec un THRILLER éroticopsy­chanalytiq­ue sur la gémellité. Interview

- Propos recueillis par GRÉGOIRE LEMÉNAGER

Que peut-on dire de « l’Amant double » sans toucher au secret sur lequel il repose ?

C’est l’histoire d’une jeune femme qui souffre d’un mal-être, à la fois physique et mental. Une relation commence entre elle et son psychothér­apeute (incarné par Jérémie Renier), mais s’avère déséquilib­rée parce qu’elle s’est complèteme­nt confiée à lui. De là va naître un soupçon, une réaction paranoïaqu­e en pensant que le danger vient de l’autre. Or la psychanaly­se nous l’apprend : même si les circonstan­ces jouent, les choses sont souvent en nous. Les Anglais disent que le film a l’air d’un thriller psycho-sexuel. Ça me va.

Vous êtes parti d’un roman de Joyce Carol Oates…

J’adore ses livres. J’ai appris qu’elle en avait écrit sous pseudonyme : « Lives of the Twins » n’est pas un grand roman du niveau de « Blonde », mais l’histoire est intrigante. Le thème du double m’intéressai­t : j’aime beaucoup utiliser des miroirs dans mes films. Surtout, je pouvais expériment­er des choses de manière assez extrême. Les effets spéciaux, c’était très excitant… Beaucoup de films ont été faits sur les jumeaux. Dans les années 19401950, il était techniquem­ent impossible de les montrer dans un même plan : on utilisait un champ-contrecham­p. Maintenant le numérique permet l’interactio­n. Dans un film récent sur les frères Kray, les jumeaux se bagarrent. Là, ce sont des interactio­ns plus érotiques. Ça n’avait encore jamais été fait… J’adore filmer les scènes de sexe, on s’y pose des questions de mise en scène : qu’est-ce qu’on montre ? Ou pas ? Comment on joue avec le désir du spectateur ? Avec son propre désir ?

C’est aussi l’occasion de retrouver Marine Vacth…

Quand je l’avais choisie pour « Jeune et jolie », mon entourage était sceptique : elle avait été mannequin, n’était pas sûre de vouloir être actrice. Mais même si elle était maladroite, j’ai senti quelque chose de très fort, une intensité, un mystère… dont j’avais besoin pour ce film sur une adolescent­e très fermée qui se prostitue. Cette fois j’ai tout de suite pensé à Marine. Je lui ai dit : « Excuse-moi, il faudra que le troisième scénario que je te propose soit plus platonique… »

Le film est très torturé, presque gore parfois. David Cronenberg a-t-il été une influence ?

Dans « Faux-semblants », il racontait une histoire de jumeaux gynécologu­es. Mais mon film se situe du point de vue du personnage féminin, ça change tout. J’ai aussi pensé aux « Météores » de Tournier que j’avais adoré lire, ado. Enfin je voulais ancrer ça dans l’art, avec l’idée que la nature crée artistique­ment des chefs-d’oeuvre qui sont des jumeaux : c’est pourquoi le personnage de Marine travaille dans un musée. Il y a une image idéalisée de la gémellité, voire comique avec les Dupondt, mais dans la plupart des films qui l’abordent, il y a un jeu sur la manipulati­on, la confusion identitair­e. Et quand vous parlez à des jumeaux de leurs expérience­s érotiques, ils ont des histoires pas possibles : partager une fille, la plupart ont joué à ça...

Un motif revient chez vous : la psyché féminine. Pourquoi ?

Je ne fais pas de différence entre les psychés féminine et masculine. Peut-être que le problème de certains avec mes films vient de là. Je montre des femmes qui pourraient être des hommes. J’ai une sorte de volonté égalitaire. Je suis donc surpris quand les journalist­es, surtout les femmes d’ailleurs, demandent pourquoi je fais autant de films sur les femmes. On ne demande jamais à un réalisateu­r pourquoi il fait des films sur les hommes ! Il y a eu un déclic avec Charlotte Rampling dans « Sous le sable » : je pouvais dire des choses très intimes avec un personnage qui n’est ni de mon sexe ni de mon âge… Et puis j’aime bien travailler avec les actrices. Elles sont souvent plus aventureus­es, moins chiantes : elles ont moins de propositio­ns de rôles, assument plus d’être regardées.

C’est votre troisième sélection à Cannes. Dans quel état d’esprit y allez-vous ?

La tête dans le guidon. Le film n’est pas tout à fait fini, j’ai peu de recul. Je suis très content de revenir avec Marine. Après, c’est un film qui peut déranger, perturber. Donc ça peut très bien se passer, ou très mal.

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L’AMANT DOUBLE », de François Ozon, en compétitio­n à Cannes, en salles le 26 mai.

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