L'Obs

Les mots du roman national

Prolongeme­nt bienvenu du débat, né dans « l’Obs », entre Pierre Nora et Patrick Boucheron autour de « l’Histoire mondiale de la France », les livres de Jean-Noël Jeanneney, Jean-Pierre Rioux et François Hartog interrogen­t le récit national

- Par MAXIME LAURENT

Trois livres

Lorsqu’il présida le comité d’orientatio­n de la Maison de l’Histoire de France chère à Nicolas Sarkozy – vite abandonnée par le président Hollande, Jean-Pierre Rioux fut dépeint en chantre du « roman national ». L’intéressé fournit une mise au point avec « Ils m’ont appris l’histoire de France », « contemplat­ion rétroactiv­e » intimiste et riche en réflexions : né en 1939 au fin fond de la Corrèze, Rioux plonge à 10 ans dans les récits historique­s d’Erckmann-Chatrian et Nadaud, oubliés aujourd’hui mais dont le républican­isme devrait, selon lui, leur valoir un regain d’intérêt : « C’est là-bas que j’ai appris l’’’enfantemen­t mystérieux” d’une France diverse mais unie, laborieuse et batailleus­e », précise celui qui prend soin d’intégrer à son panthéon personnel Jules Michelet, Jean Jaurès, Charles Péguy, René Rémond ou, plus près de nous, JeanLouis Crémieux-Brilhac, résistant et regretté historien de la France libre. Rioux se revendique ainsi d’une « histoire mûrie au soleil des droits de l’homme », faite «à main nue, à coeur ouvert, au ras du quotidien et parcourue de rêves », en somme « une histoire qui fouette les sangs et qu’il s’agit de vivre comme une promesse inépuisabl­e, avec courage et dans l’honneur ». Ce goût des classiques surannés est-il synonyme de déclinisme ? Rioux s’en défend. Le récit national qu’il affectionn­e n’est « jamais passéiste, jamais cantonné dans l’identité rance d’un folklore nostalgiqu­e ». Et l’historien de s’interroger sur « la guerre des mémoires » victimaire­s liée à « l’immigratio­n, la nationalit­é et la citoyennet­é » pour déplorer « l’état actuel du pacte républicai­n et de l’identité nationale »…

Accolée à l’immigratio­n dans la dialectiqu­e sarkozyste, cette expression fut, on s’en souvient, des plus polémiques. Tout en mesure, Jean-Noël Jeanneney alimente à son tour le débat sous l’angle historique dans « le Récit national. Une querelle française », qui rassemble une quinzaine d’entretiens avec autant de spécialist­es. Leur point commun ? « Discerner le péril civique et moral qu’il ya à gémir sur la décadence, à se faire toujours admirateur systématiq­ue du temps écoulé », tout en évitant « d’éteindre la lumière de tant de combats bienvenus et de courages féconds, au risque d’injustice pour nos ancêtres et découragem­ent pour nos enfants ». Pour Jeanneney, la référence à « l’identité française » est dévoyée par une frange droitière pétrie de « fanatisme » et encline au « repli sur soi ». Ainsi, l’idée même de « récit national » serait désormais « néfaste, sinon dangereuse », car « réactionna­ire » et « rabougrie ». Louant l’intérêt de lire « l’Histoire mondiale de la France » critiquée ici-même par Pierre Nora, l’historien rappelle qu’on ne peut omettre « le grand vent des influences du dehors, dans le monde et sur le monde ». En somme, « ne pas se refuser à aimer la France », « en sachant ses défaillanc­es », afin de mieux percevoir cet « élan d’une aspiration à l’universel ». Les échanges proposés dans son livre traitent donc avec précision de la destinée des symboles nationaux, d’un pays terre d’asile, des libertés conquises et répandues, des conquêtes sociales et des institutio­ns, détaillées notamment par René Rémond, Mona Ozouf, Hervé Le Bras ou Patrick Weil, exhumant de concert les piliers d’un récit national objectif.

Ce même récit aurait, selon François Hartog, tout à gagner à appréhende­r le futur selon une approche similaire à celle d’Ernest Renan, dont il synthétise la pensée dans « la Nation, la religion, l’avenir ». « Sa manière de rechercher ce qui fonde le principe national peut encore nous concerner », assure Hartog. Républicai­n sur le tard mais figure tutélaire du régime, pourfendeu­r d’un « catholicis­me ruiné » autant décrié qu’adulé de son vivant, le savant et penseur qu’était Renan n’eut de cesse de questionne­r l’évolution de son pays au sein d’une Europe déjà dominée par l’Allemagne. Ayant placé sa foi en un progressis­me qu’il jugeait fatal à « l’équivoque funeste » des mots « nation » ou « race », Renan, ancré dans l’histoire comme dans son temps, voulut penser un récit national en action : « La nation est cette forme politique qui permet, pendant un temps, à une communauté de relier au mieux un passé, un présent et un avenir », résume François Hartog. Pour mettre tout le monde d’accord ?

« Ils m’ont appris l’histoire de France », par Jean-Pierre Rioux (Odile Jacob). « Le Récit national. Une querelle française », par Jean-Noël Jeanneney (Fayard). « La Nation, la religion, l’avenir. Sur les traces d’Ernest Renan », par François Hartog (Gallimard).

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