L'Obs

Anne Wiazemsky

En compétitio­n à Cannes, la comédie de MICHEL HAZANAVICI­US sur le cinéaste d’“A bout de souffle” est tirée d’un livre d’ANNE WIAZEMSKY, qui fut son épouse et sa muse. Confidence­s

- Par NICOLAS SCHALLER

: « Le Godard que j’ai aimé »

Godard qui glisse, tombe à la renverse et casse ses lunettes à chaque manif. Godard à poil, en caleçon ou au petit déjeuner, mari amoureux et jaloux, romantique et petit-bourgeois, aveugle au délitement de son couple, qui le mènera à une tentative de suicide. Godard qui, lors d’une assemblée d’étudiants révolution­naires à la Sorbonne, prend le micro et se lance dans un réquisitoi­re à la Pierre Repp, sans queue ni tête, contre Israël et les « juifs nazis » (sic). A Cannes, les gardiens du temple godardien risquent de persifler face au « Redoutable », de Michel Hazanavici­us, et à son crime de lèse-majesté : faire de Jean-Luc Godard en Mai-68 un personnage enfantin et risible à la OSS 117, l’intelligen­ce en plus. Un artiste en avance sur son temps, mais un époux dépassé par l’époque. Un maoïste maso qui se révolution­ne sous les yeux de la femme qui l’aime et le comprend de moins en moins.

Cette femme, c’est Anne Wiazemsky, fille du prince Yvan Wiazemsky, petite-fille de François Mauriac et soeur de notre

Née en 1947 à Berlin, Anne Wiazemsky a été actrice pour Robert Bresson (« Au hasard Balthazar », 1966), Jean-Luc Godard (« la Chinoise » et « Week-end », 1967) et Pier Paolo Pasolini (« Théorème », 1968). Elle est notamment l’auteur d’« Une année studieuse » (2012), d’« Un an après » (2015) et d’« Un saint homme » (2017).

crobardeur en chef, Wiaz. Quand Godard, de dix-sept ans son aîné, l’a filmée dans « la Chinoise » et l’a épousée, Anne Wiazemsky avait 20 ans. Etudiante et actrice débutante, elle sortait du tournage d’« Au hasard Balthazar », de Robert Bresson. Le regard énamouré, admiratif mais sans pitié, qu’elle portait sur l’icône de la Nouvelle Vague, le rapport intime de cette jeune femme bien née en quête d’émancipati­on avec ce pygmalion soixante-huitard, Suisse protestant d’origine, faisaient tout le prix d’« Une année studieuse » et d’« Un an après », les deux livres qu’elle a consacrés à sa relation de trois ans avec Godard. C’est le second que Michel Hazanavici­us a adapté.

Anne Wiazemsky a vu « le Redoutable » et a accepté de nous en parler. Nous la retrouvons dans une brasserie du 7e arrondisse­ment de Paris, à deux pas de chez elle. Là où, quelques mois plus tôt, elle accordait à Hazanavici­us les droits d’adaptation de son livre. « Je l’ai laissé parler vingt minutes, mais je savais dès le départ que je dirais oui, confie-t-elle. D’abord, j’aime ses films. Ensuite, il n’a pas connu Mai-68, son regard sur l’époque et la cinéphilie est différent. Ça change des gens de ma génération, qui sont souvent très emmerdants sur le sujet. La façon ludique avec laquelle Hazanavicu­s (sic) abordait mon livre m’a tout de suite séduite. » Wiazemsky n’a pas voulu lire le scénario ni ne s’est rendue sur le tournage. « Je n’aurais fait que gêner », dit-elle. Stacy Martin, qui l’interprète à l’écran, cherche depuis le début à la rencontrer ; elle ne cesse de reporter le rendez-vous. « J’aime savoir qu’on m’attend. » L’espiègleri­e n’a pas d’âge. A moins que son avis sur le film fini ne l’incite à s’en tenir éloignée ? « J’ai eu l’intuition que je ne serais pas trahie; je ne me suis pas trompée. Le film est très très bien. Il y a un point de vue, une ligne. Et il touche une vérité. Il m’a surprise dans la mesure où je ne pensais pas être secouée intimement par l’interpréta­tion de Louis Garrel, par son mimétisme. J’ai retrouvé le Jean-Luc que j’ai aimé. JeanLuc était un homme beau. Il était extrêmemen­t burlesque, il avait énormément de charme. Ce qu’a Louis Garrel. Le film me paraît centré sur lui, sur la crise qu’il traverse et qui l’a amené où il est aujourd’hui. J’ai davantage retrouvé Godard que je ne me suis retrouvée, ce qui ne me gêne pas du tout. Stacy Martin est adorable, mais j’étais plus avertie que son personnage : j’avais déjà tourné deux fois avec Pasolini. » Anne Wiazemsky n’a demandé aucune modificati­on. Aurait-elle pu si elle l’avait voulu? « Je pouvais faire changer au générique “d’après le livre” par “inspiré du livre”. Nuance grammatica­le qui veut dire que l’auteur n’est pas en accord avec le film. »

“JE NE VEUX PLUS JAMAIS T’ÉMOUVOIR”

Aujourd’hui romancière, Anne Wiazemsky a le même agent que Michel Hazanavici­us, ce qui a facilité les négociatio­ns. Le film emprunte son titre à une phrase des infos de l’époque, que Godard s’approprie, sur l’inaugurati­on du premier sous-marin nucléaire français : « Ainsi va la vie à bord du “Redoutable”. » Phrase issue non pas d’« Un an après », mais d’« Une année studieuse ». Pour lui éviter d’acheter les droits des deux livres, Wiazemsky en a fait cadeau à Hazanavici­us. Un cadeau joliment piégé. « Cette phrase ridicule, raconte Wiazemsky, Jean-Luc ne l’a pas dite. Je la tiens de mon meilleur ami, le scénariste Jacques Fieschi, qui me l’a sortie il y a sept-huit ans. C’est pour ce type de détails que mes livres sont des romans. Mais c’est typiquemen­t le genre de formule que reprenait Jean-Luc. Les slogans publicitai­res l’horripilai­ent. “Opel défie le temps”, ça le rendait furieux. »

Anne Wiazemsky fêtera son anniversai­re une semaine pile avant la présentati­on, le 21 mai, du « Redoutable » à Cannes. Y sera-t-elle? « Je viens d’apprendre que oui. Je sors d’ailleurs de chez Chanel, qui va me prêter un vêtement. Je suis très excitée, une petite midinette… » Et Godard dans tout ça? On a cru un temps que son nouvel essai, « Image et parole », serait sélectionn­é et entrerait en concurrenc­e avec « le Redoutable ». Il n’en est rien. Lorsqu’il a eu vent du film, l’ermite de Rolle a demandé à lire le scénario. Hazanavici­us le lui a envoyé. Depuis, plus de nouvelles. Il ne s’était pas non plus manifesté à la sortie d’« Un an après ». « Le livre d’une ex, ça ne peut qu’embêter l’intéressé, quel qu’il soit. Rappelez-vous l’histoire entre Meryl Streep et Woody Allen dans “Manhattan” », nous faisait très logiquemen­t remarquer Louis Garrel sur le tournage du « Redoutable ». La dernière fois qu’Anne Wiazemsky a croisé Jean-Luc Godard, c’était, ironie du sort, au Festival de Cannes. En 1982. « Jean-Luc présentait “Passion”, dont la projection avait eu lieu l’après-midi dans une salle très chahutée. J’étais avec Serge Daney et un autre journalist­e des “Cahiers du cinéma”, qui m’hébergeaie­nt dans leurs bureaux. Je cherchais JeanLuc pour lui dire à quel point j’avais adoré son film quand on est tombé nez à nez avec lui. Quand je lui ai expliqué que je me dirigeais vers son hôtel pour lui mettre un mot, il a eu l’air interloqué et m’a répondu : “Je ne veux plus jamais t’émouvoir et je ne veux plus jamais être ému par toi.” »

 ??  ?? Louis Garrel dans « le Redoutable ». aussi beau que le vrai Godard, selon Anne Wiazemsky. Page de droite, face à Stacy Martin.
Louis Garrel dans « le Redoutable ». aussi beau que le vrai Godard, selon Anne Wiazemsky. Page de droite, face à Stacy Martin.
 ??  ?? Godard et Anne à Venise, en 1967.
Godard et Anne à Venise, en 1967.
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