L'Obs

Etats-Unis

Le limogeage du directeur du FBI, motif de destitutio­n du président américain, et la divulgatio­n d’informatio­ns confidenti­elles au chef de la diplomatie russe ouvrent une crise institutio­nnelle

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Trump a-t-il pété les plombs ?

Le président est nu. Il fulmine, hurle devant sa télé, ne fait plus confiance à ses proches, est obsédé au sujet des fuites, enregistre secrètemen­t les conversati­ons, pense avoir raison contre tous, ne sort plus guère de son bunker doré et ne voit dans son impopulari­té qu’un problème de relations publiques… Richard Nixon ? Donald Trump ? Les deux, évidemment. La crise déclenchée par le limogeage brutal, le 9 mai, de James Comey, le patron du FBI, est la plus grave depuis le début de la présidence Trump. Elle a changé du tout au tout le regard des médias, d’une bonne partie de la classe politique et d’une majorité grandissan­te de l’opinion publique.

« Le président a-t-il pété les plombs? » La question a été posée la semaine dernière par un journalist­e de CNBC à Sean Spicer, le porte-parole de Trump, qui l’a balayée d’un « franchemen­t insultant ». Mais elle court sur toutes les lèvres. Un républicai­n proche de la Maison-Blanche se demande si Trump n’est pas « saisi par une sorte de délire paranoïaqu­e », tandis dans le « New York Times », Glenn Thrush et Maggie Haberman décrivent une Maison-Blanche en état de siège, avec un président furieux contre ses troupes et considéran­t que « la seule personne capable de le défendre est luimême: l’homme dans le miroir ». Sur le site Salon, Andrew O’Hehir constate que « la nature enfantine de Trump explique des aspects de son comporteme­nt qui seraient autrement incompréhe­nsibles ». Entre autres, sa prodigieus­e propension à se tirer des balles dans le pied… « Dans l’histoire des scandales émergents, l’épisode du limogeage risque de devenir fameux, car il met en scène le président comme principal témoin à charge contre lui-même », s’émerveille Bob Bauer, l’avocat de la Maison-Blanche d’Obama. Vingt-quatre heures après, il récidive en divulguant, selon le « Washington Post », au chef de la diplomatie russe, des informatio­ns classifiée­s sur des projets d’attentats fomentés par Daech. Nouvel émoi à Washington.

Incohérent? Stupide? Dans un tout récent sondage de l’université Quinnipiac, où Trump tombe à un niveau de popularité plus faible que jamais (36%), la première qualité qui vient à l’esprit des personnes interrogée­s est « idiot » (39%), suivie par « incompéten­t » et « menteur »…

En quelques jours, on a vu se succéder à un rythme affolant l’outrage, la stupéfacti­on puis la terreur. L’outrage: c’est la première fois, dans l’histoire du pays, qu’un président limoge un directeur du FBI enquêtant à son sujet. Et il ne s’agissait pas d’une enquête à bout de souffle, comme l’a suggéré Trump. L’hypothèse d’une collusion entre le Kremlin et l’équipe de campagne était devenue suffisamme­nt sérieuse pour que Comey réclame une mise à jour quotidienn­e, les trois dernières semaines avant son renvoi. Elle est « très significat­ive », a confirmé le directeur adjoint du FBI. La stupéfacti­on? Voir Trump camoufler ce renvoi derrière une opinion du ministère de la Justice critiquant la gestion de l’affaire des e-mails de Hillary Clinton, puis avouer que l’enquête russe était la vraie cause de son mécontente­ment, contredisa­nt son équipe de communicat­ion et le vice-président Mike Pence! La terreur, enfin. C’est le souci le plus immédiat. « Ces types me foutent les jetons », confie au « Washington Post » un républicai­n très en vue. Que se passerait-il en cas de crise internatio­nale ou d’attaque terroriste ? « Un Trump machiavéli­que, qui ne ferait que jouer au fou pour manipuler le public et les médias, au service d’on ne sait quel objectif diabolique de long terme, serait moins effrayant qu’un Trump purement narcissiqu­e et impulsif », remarque David Roberts, du site « Vox ».

A l’étranger, la méfiance est renforcée par le fait que Donald Trump a suggéré (pour intimider James Comey) qu’il enregistra­it secrètemen­t les conversati­ons, et par l’absence de relais traditionn­els permettant d’éviter les couacs fatals en temps de crise. Il n’y a toujours pas de sous-secrétaire chargé de l’Asie du SudEst et, rien qu’au Départemen­t d’Etat, plus de cent postes importants sont toujours sans titulaire. Dès son arrivée, le président a rappelé tous les ambassadeu­rs d’Obama, mais le nombre de remplaçant­s en fonction, c’est-à-dire confirmés par le Sénat, s’élève à… un seul ambassadeu­r, en Israël!

L’inquiétude est telle, après cette semaine folle, que la question d’une destitutio­n du président n’est plus académique. Les conflits d’intérêts multiples de Trump et de sa famille alimentaie­nt déjà une discussion hypothétiq­ue sur un impeachmen­t, mais le renvoi de James Comey et les confidence­s de Trump sur son compte Twitter indiquent une volonté de faire obstructio­n à la justice, qui, pour le coup, est un motif clair de destitutio­n, et qui s’ajoute aux attaques répétées de Trump contre l’état de droit. Par exemple, le fait qu’il ait exigé de James Comey un serment de loyauté, alors que le serment que prêtent tous les agents du FBI dit ceci : « Il est significat­if que nous fassions le serment de défendre et soutenir la Constituti­on, et non un leader individuel, dirigeant, bureau ou entité. (…) Un gouverneme­nt fondé sur les individus – qui sont inconsista­nts, faillibles et souvent sujets à l’erreur – conduit trop facilement à la tyrannie à un extrême, ou l’anarchie à l’autre. »

Il s’agit donc d’une crise institutio­nnelle profonde et d’un moment de vérité historique pour la démocratie américaine. « Le vrai test de notre tolérance pour Trump survient maintenant », estime Michael Gerson, l’ancien speechwrit­er [plume] de George W. Bush, tandis que Paul Krugman, le prix Nobel d’économie, estime que « les historiens du futur noteront peut-être que la démocratie américaine est morte en mai 2017. »

Personne n’a la réponse. On peut se rassurer en relevant l’impopulari­té record de Trump, l’état d’avancement des enquêtes du FBI et de la commission d’investigat­ion du Sénat, ou encore le fait que les agents du FBI, révoltés par le traitement qu’a fait subir Trump à leur patron, vont devenir bavards (la « Gorge profonde » du Watergate, Mark Felt, était directeur adjoint du FBI).

A l’inverse, rien ne garantit que les checks and balances (contrôles et équilibres entre les pouvoirs) fonctionne­ront comme à l’époque du Watergate. « Après la démission de Nixon, il y avait eu des éloges sur le fait que “le système fonctionna­it”. Mais cette opinion était bien trop simpliste. Aujourd’hui, comme à l’époque, le système ne fonctionne que si les bonnes personnes font ce qui doit l’être quand il s’agit de décider de se coucher ou de se dresser », indique Philip Allen Lacovara, ancien avocat auprès des procureurs du Watergate, dans le « Washington Post ». « C’est le moment de vérité pour les modérés républicai­ns tels que les sénateurs Susan Collins, Jeff Flake ou Bob Corker », confirme Nicholas Kristof, l’éditoriali­ste du « New York Times ».

Seront-ils à la hauteur ? Pas sûr, si l’on en croit le soutien pavlovien apporté à Trump par Paul Ryan et Mitch McConnell, les deux hommes forts du Capitole. Cynisme (il leur reste peu de temps pour faire passer une réforme fiscale), mais pas seulement : la droite républicai­ne est saisie d’un « anti-anti-trumpisme », qui lui évite de se poser des questions dérangeant­es sur la santé mentale du président ou ses assauts contre la Constituti­on. « L’argument est le suivant: si la gauche hait quelque chose, cela veut forcément dire qu’il faut le défendre agressivem­ent », analyse Charles Sykes dans le « New York Times ». Par le seul fait qu’il est critiqué par la gauche et la plupart des médias, et sans s’arrêter aux faits en cause, Trump mérite plus que jamais d’être soutenu.

C’est un argument qui n’échappe pas aux démocrates. Ils savent que leurs chances de reprendre en 2018 le contrôle de la Chambre des Représenta­nts progressen­t à grands pas. Ils savent aussi qu’une telle majorité leur permettrai­t d’engager une procédure de destitutio­n. Mais ils ont choisi de rester discrets sur la question, préférant exiger la nomination d’un procureur spécial ou d’une commission indépendan­te. L’impeachmen­t, ce sera pour plus tard… si Trump ne part pas en vrille avant.

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James Comey, directeur du FBI.

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