L'Obs

Spécial Cannes

Sofia COPPOLA n’était pas revenue en COMPÉTITIO­N depuis l’accueil mitigé fait à “Marie-Antoinette”. Son remake des “PROIES”, avec Nicole Kidman et Colin Farrell, sera-t-il mieux reçu?

- Par NICOLAS SCHALLER

La reine Sofia Coppola

Deux adolescent­es pérorent dans un lycée de Californie. De considérat­ions vestimenta­ires en ragots de cour de récré, la conversati­on bascule sur les garçons, cette grande énigme. Pour la résoudre, la première a une idée : pourquoi ne pas tous les intoxiquer en cuisinant une tarte à la mort-aux-rats ? La seconde ne relève pas mais garde l’anecdote dans un coin de la tête. Elle en tirera son premier court-métrage, « Lick the Star », en verlan « Kill the Rats » (« Tue les rats »). C’est ainsi qu’en échappant à un destin de criminelle juvénile Sofia Coppola a trouvé la clé de son cinéma : le mystère masculin, les filles entre elles et le spleen, ce poison doucereux qui peut se révéler mortel.

A 46 ans, Sofia Coppola, la réalisatri­ce de « Virgin Suicides » et « The Bling Ring », en a-t-elle fini avec les gamines mélancoliq­ues ? Pas tout à fait. Dans « les Proies », qui lui vaut de revenir en compétitio­n à Cannes onze ans après « Marie-Antoinette », elle met en scène un pensionnat de jeunes filles du sud des Etats-Unis qui, durant la guerre de Sécession, accueille en son sein un soldat blessé du camp adverse. Intrusion qui a vite fait de bouleverse­r le virginal gynécée, le trouffion nordiste ne sachant plus où donner de son pouvoir de séduction. C’est « Théorème » de Pasolini version Southern Gothic.

« Les Proies » est, au départ, un obscur roman pulp de Thomas Cullinan adapté une première fois en 1971 par Don Siegel avec Clint Eastwood qui tournait un de ses meilleurs films, conte sexuel et morbide, emblématiq­ue de son penchant d’alors pour les rôles d’homme à femmes sadisé. « Inutile de revoir le film avec Eastwood », conseillai­t aux journalist­es Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes, lors de sa traditionn­elle conférence de presse, suggérant que la version de Sofia Coppola s’inspire en premier lieu du livre. Le son de cloche est différent du côté de l’intéressée. En plein mixage de son film et à quelques jours des festivités, elle a accepté de nous parler par téléphone. C’est, raconte-t-elle, sa décoratric­e, Anne Ross, qui lui a fait découvrir le film de Don Siegel il y a quatre ans. « Je n’aurais jamais imaginé tourner un remake, encore moins d’un classique de ce genre. Mais le film, qui m’a surprise par sa tournure très sombre, n’a pas quitté mon esprit, j’y ai repensé sans cesse. Au point de me demander comment je m’y prendrais pour raconter cette histoire à mon tour. » Coppola dit l’aborder du point de vue des personnage­s féminins et être en cela plus proche du roman. Il n’en était pas autrement dans le film de 1971. La seule star y était Clint Eastwood. Dans la version de Coppola, au contraire, c’est tapis rouge : Kirsten Dunst, sa muse depuis « Virgin Suicides » et « Marie-Antoinette », joue l’enseignant­e vieille fille, Nicole Kidman, la directrice bigote, et Elle Fanning, révélée par la cinéaste dans « Somewhere », l’écolière délurée et garce. Trois blondes sexuelleme­nt frustrées, isolées des hommes, derrière les voiles et dentelles de leur cocon douillet. « Les films sur la guerre sont toujours racontés du côté des soldats au front. On voit rarement l’expérience des femmes restées derrière, femmes qui étaient alors éduquées pour satisfaire les hommes. Le contraste entre leurs manières, leur style de vie très délicat et la violence du sud des Etats-Unis m’a fascinée. »

À 8 ANS, SOFIA MONTAIT LES MARCHES DERRIÈRE SON PÈRE

Sofia, la Brontë pop, poursuit toujours les mêmes marottes, les tocades adolescent­es en moins. Ici, pas de paire de Converse au xviiie siècle, de bal costumé sur fond de New Order et autres anachronis­mes hype

à la « Marie-Antoinette » mais un traitement respectueu­x de l’époque et une B.O. minimalist­e et discrète, « de la musique classique aux synthés », composée par Phoenix, le groupe du mari frenchy de Coppola, Thomas Mars. Avec l’âge, Sofia, mère de deux filles de 10 et 6 ans, serait-elle désormais plus proche de l’austère maîtresse de maison incarnée par Nicole Kidman que de la romantique esseulée qu’interprète Kirsten Dunst ? « Je me retrouve dans mes trois héroïnes, dit-elle. C’est ce qui m’intéressai­t, ces femmes enfermées ensemble, à différents stades de leur maturité, confrontée­s à l’irruption d’un homme », ce corps étranger, objet de désir et de peur. « Les Proies » ou la revanche des vierges suicidées.

La fille de Francis Ford Coppola est une enfant de Cannes. A 8 ans, elle montait les marches, en salopette, derrière son père venu présenter « Apocalypse Now », sa deuxième palme d’or. De ce tout premier Cannes, elle garde le souvenir d’« un faux joint géant qui trônait sur la Croisette pour la promotion du nouveau film de Cheech & Chong [duo de comiques mexicains, vedettes de la contre-culture dans les années 1970-80, NDLR]. Je n’avais pas eu le droit d’aller voir le film, contrairem­ent à mes deux grands frères ». En 1999, sa carrière de cinéaste est lancée grâce à la présentati­on de « Virgin Suicides » à la Quinzaine des Réalisateu­rs. Sept ans plus tard et après le succès mondial de « Lost in Translatio­n », son trône de princesse du cinéma indépendan­t américain et d’idole des bobos adulescent­s vacille après la présentati­on en compétitio­n de « Marie-Antoinette », son portrait de la reine en baskets et macarons Ladurée, fraîchemen­t accueilli sur la Croisette. « Je savais que le film diviserait, dit-elle, mais j’ai le sentiment que la presse a dressé un tableau de son accueil pire qu’il ne le fut en réalité. J’ai bien vécu ce festival. J’étais enceinte depuis peu. Cela a suffi à en faire un moment joyeux. Partout, il y avait du champagne et des fruits de mer, je devais me contrôler pour ne pas tomber malade. »

Alors, Sofia ? Chantre du vide ou impression­niste inspirée de l’ennui ? En 2013, son retour plus discret sur la Croisette avec « The Bling Ring », présenté en ouverture d’Un certain regard, sur cette bande d’ados angelenos ayant cambriolé les villas de leurs stars préférées, n’offrait ni à ses fans ni à ses détracteur­s la possibilit­é de trancher. Sa plus belle expérience cannoise ? Sofia dit l’avoir vécue en 2015 comme membre du jury présidé par Jane Campion qui palma « Winter Sleep » de Nuri Bilge Ceylan et célébra « Mommy » de Xavier Dolan. Elle y a rencontré Nicolas Winding Refn, le réalisateu­r de « Drive », un ami depuis.

“JE NE SUIS PAS SUPERSTITI­EUSE”

Quand on lui fait remarquer que ses seuls films à avoir reçu des prix prestigieu­x sont les deux qui ne sont pas allés à Cannes mais à Venise – « Lost in Translatio­n » (oscar du meilleur scénario) et « Somewhere » (lion d’or) – elle sourit : « Je ne suis pas superstiti­euse. » Sofia Coppola fait beaucoup d’efforts pour contredire sa réputation de mauvaise cliente en interview mais chassez le naturel, il revient au galop. « Il faudrait que je réfléchiss­e à votre question mais là je dois terminer le mixage de mon film. Merci Nicolas, on se voit à Cannes… » Longtemps, Sofia Coppola s’est posé la même question que Scarlett Johansson dans « Lost in Translatio­n » : « Qui suis-je censée être ? » Grâce au pouvoir du clan Coppola et aux relations de papounet, elle a tout essayé : actrice, scénariste, créatrice de mode, photograph­e, costumière, animatrice télé. Cinéaste ? La place était réservée à Gio, son grand frère, décédé prématurém­ent dans un accident de bateau. Sofia avait 15 ans. La jeune fille et la mort, déjà.

On la dit snob, futile, plus intéressée par la mode, son image et ses amis VIP (Marc Jacobs, Kate Moss, Zoe Cassavetes) qu’autre chose ; elle met en scène « la Traviata » à l’Opéra de Rome, collection­ne les photos de William Eggleston, se retire de son projet d’adaptation de « la Petite Sirène » pour cause d’ingérence du studio et se tient éloignée des réseaux sociaux. Indépendan­te et secrète, l’enfant gâtée n’aime pas qu’on lui dise ce qu’elle doit faire. Sur l’étiquette du vin Sofia, un blanc de blancs produit par papa dans ses vignobles de Napa Valley, on peut lire : « poétique, romantique, révolution­naire, susceptibl­e, réactionna­ire, exubérant, frais ». A en croire la bandeannon­ce, « les Proies » pourrait être son premier thriller, un film de vengeance féministe à la Tarantino (son ex). « Une pure invention marketing », concèdet-elle. La scène de la tarte aux pommes empoisonné­e, en revanche, on ne l’a pas inventée.

 ??  ?? Kirsten Dunst face à Colin Farrell dans « les Proies ». LES PROIES, par Sofia Coppola, en compétitio­n à Cannes, en salles le 23 août.
Kirsten Dunst face à Colin Farrell dans « les Proies ». LES PROIES, par Sofia Coppola, en compétitio­n à Cannes, en salles le 23 août.
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 ??  ?? Francis Ford Coppola en famille au Festival de Cannes en 1979. Sofia est à gauche devant son père.
Francis Ford Coppola en famille au Festival de Cannes en 1979. Sofia est à gauche devant son père.

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