L'Obs

L’opinion

- Par MATTHIEU CROISSANDE­AU

Matthieu Croissande­au

Et la France, éberluée, découvrit son nouveau président… Après une passation de pouvoir rondement menée, Emmanuel Macron n’aura pas attendu longtemps pour endosser tous les rôles et avancer ses premiers pions. Chef de l’Etat dans son costume sombre, chef des armées dans son command car, chef de la diplomatie à Berlin, le voilà désormais chef de chantier. Avec un objectif: construire une équipe de choc et une majorité à sa main au plus vite.

Bien plus fin stratège et politique que certains ont pu le dire, il sait que la bataille des législativ­es sera courte. Mais il sait aussi que si les fondations sont bancales, c’est tout l’édifice qui risque de s’écrouler par la suite. Les Français, qui ont perdu tous leurs repères dans l’aventure, vont devoir s’habituer à son style comme à son rythme. Accrochez-vous, ça va secouer.

L’heure des comparaiso­ns n’est pas encore venue, mais on a déjà compris que ce président-là différait de tous ceux qu’on a pu connaître. Ni monarque comme Giscard, ni florentin comme Mitterrand, ni fainéant comme Chirac, ni agité comme Sarkozy, ni brouillon comme Hollande… Lui se rêve en de Gaulle version 1958, pas moins ! Ce qui dit en dit long, au passage, sur son ambition comme sur sa conception du pouvoir…

Le temps du bilan n’est pas venu non plus, mais le premier enseigneme­nt de son entrée en scène est qu’à peine élu il a commencé par faire ce qu’il avait dit: en prônant une refondatio­n politique et un retour aux sources de la Ve République, le candidat Macron avait annoncé sa volonté de faire litière des clivages autant que des partis tout au long de sa campagne. Le Parti socialiste comme Les Républicai­ns n’ont pu que constater les dégâts. Le premier se décompose quand le second implose, tous deux victimes des mêmes maladies: le sectarisme, les finasserie­s et les non-dits.

Le second enseigneme­nt est qu’en matière de renouvelle­ment il est parfois difficile de passer de la théorie à la pratique… Le délicat accoucheme­nt du gouverneme­nt d’Edouard Philippe comme la compositio­n des investitur­es aux législativ­es en témoignent. Avoir été élu avec 66% des voix ne dispense pas de mettre la main à la pâte, ni de négocier dans les coulisses quelques accords qui fleurent davantage la vieille soupe que la nouvelle cuisine.

Ad augusta per angusta ? Le pari de Macron est audacieux, c’est sûr, même s’il n’est pas encore totalement lisible. On ne tire pas un trait en quelques jours sur des décennies d’un clivage gauchedroi­te qui structure encore, quoi qu’on en dise, les réflexes du plus grand nombre. Et le pragmatism­e que prône le nouveau président ne vaut que s’il débouche rapidement sur des résultats. Tous les Français en verront-ils la couleur ? Cela suffira-t-il à réconcilie­r le pays, relancer l’économie et réduire les injustices ? Il est évidemment trop tôt pour le dire. Emmanuel Macron mise sur le fait que les électeurs, comme l’espère Jean Daniel, lui laisseront sa chance. Espérons qu’il ne la laissera pas passer car il n’y en aura pas d’autre. Les vieux partis, et surtout les extrêmes, l’attendent déjà au coin du bois. Le macronisme a la cadence d’une mitraillet­te, mais c’est un fusil à un coup dont personne ne sait encore s’il tire dans le mille.

“LE PARI DE MACRON EST AUDACIEUX, C’EST SÛR, MÊME S’IL N’EST PAS ENCORE TOTALEMENT LISIBLE.”

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