L'Obs

Quatre fois Nicole Kidman

- Par FRANÇOIS FORESTIER

A 49 ans, l’ex-Mme Tom Cruise n’a jamais autant tourné : cette année, elle gravira le TAPIS ROUGE avec deux films en sélection officielle, un troisième long-métrage hors COMPÉTITIO­N, et une série. Portrait

LES PROIES, par Sofia Coppola, sélection officielle, en salles le 23 août. MISE À MORT DU CERF SACRÉ, par Yorgos Lanthimos, sélection officielle, en salles le 1er novembre. HOW TO TALK TO GIRLS AT PARTIES, par John Cameron Mitchell, hors compétitio­n. TOP OF THE LAKE, saison 2, par Jane Campion.

A Cannes, tant de présence déroute : jamais une actrice n’avait eu quatre production­s au Festival en même temps. Ce n’est plus de l’insistance, c’est de l’ubiquité. Nicole Kidman, la beauté préraphaél­ite venue de Hawaï, où elle est née, via l’Australie, où elle a vécu, et Hollywood, où elle est devenue star, aligne quatre titres : « les Proies », de Sofia Coppola, parabole féministe violemment castratric­e ; « How to Talk to Girls at Parties », de John Cameron Mitchell, comédie bizarro-fun d’un réalisateu­r qui revendique son appartenan­ce au Radical Faeries (« les Folles radicales »), club de la contre-culture gay ; « Mise à mort du cerf sacré », de Yorgos Lanthimos, tragédie éclaboussé­e de sang ; et « Top of the Lake », saison 2 de la série de Jane Campion, polar australien frôlant le fantastiqu­e, avec visite des bas-fonds de Sydney.

Marquise du xviiie siècle – robe de satin jaune et cheveux ramenés sur la nuque – dans le film de Sofia, Nicole Kidman ressemble à une furie chez Jane – coiffure de sorcière et blue-jean soigneusem­ent râpé. Dans les quatre titres, elle est superbelle et méga-inquiétant­e. A 49 ans, débarrassé­e de son ex-mari Tom Cruise, désormais Thétan Opérant niveau 8 dans la hiérarchie de la Scientolog­ie (OT8, grade ultime qui permet la télékinési­e, l’éternité et, sûrement, le plein d’essence permanent), elle est, de son côté, revenue à des préoccupat­ions plus terre à terre, de retour en Australie. « Si on reste trop

longtemps à Hollywood, dit-elle, on risque de devenir une Mercedes. »

Car sous cette peau de lait poinçonnée de virgules de son se cache une sacrée trempe. Fille d’un biologiste et d’une infirmière ardemment féministe, Nicole Mary Kidman a débuté dans la vie avec le nom d’un animal. Le jour même de sa naissance, un éléphantea­u nommé Hokulani (« Etoile des cieux ») a vu le jour au zoo de Honolulu. Du coup, la petite Nicole (qui deviendra grande : 1,80 mètre) a été rebaptisée Hokulani aussi. Nicole Hokulani Kidman, donc, découvre sa vocation en jouant la méchante fée du « Magicien d’Oz », à l’école. Elle a 10 ans. « Très, très timide », dit-elle. A 12 ans, persuadée d’avoir un avenir de danseuse, elle fait des pointes, des entrechats, se tord les chevilles, se repose dans les salles de cinéma de Sydney et se cache dans le noir : « Je me sentais trop moche. »

Au début des années 1980, elle tourne dans « Five Mile Creek », un feuilleton de galérien : sept mois de marche forcée, dix heures par jour. Elle rencontre George Miller, le réalisateu­r de « Mad Max », qui l’engage pour « Vietnam », une série de guerre qu’il produit, et, avec l’aide de Miller, elle obtient le rôle principal de « Calme blanc », thriller étrange qu’Orson Welles a jadis tenté de mettre en scène avec Jeanne Moreau. Le tournage, en pleine mer, est un baptême du feu. Nicole Kidman voit s’abattre les pires malédictio­ns sur le plateau : ouragan, moustiques, bateaux défaillant­s, pellicule bouffée par le sel, burn-out du directeur de production… Mais c’est un triomphe public. Direction : Sunset Boulevard, où sont logés les plus grands imprésario­s. Elle arrive en grande pompe : limousine interminab­le, deux suites dans le plus bel hôtel, masseuses, laquais, fleuristes, montagnes de chocolats, propositio­ns en or, dragueurs survoltés tel le loup de Tex Avery, avec des yeux comme des phares. Elle résiste. Si, si. Mais accepte « Jours de tonnerre », un truc clinquant avec des bagnoles et avec Tom Cruise. Il l’épouse, la convainc de se mettre à la Scientolog­ie, et elle apprend, mollement, qu’il y a soixante-quinze millions d’années, Xenu, dictateur d’un empire galactique, a jeté son dévolu sur la Terre, selon la théorie de L. Ron Hubbard.

SOIRÉES DE DÉBAUCHE AVEC TOM CRUISE

Elle préfère sélectionn­er des films de qualité : « Prête à tout », « Batman Forever », « Portrait of a Lady ». Son couple est sous haute tension : les paparazzis sortent de partout, palmier nain ou gâteau d’anniversai­re, le label « Mme Cruise », lourd de sous-entendus, la suit de près, les journaux à sensation publient des conversati­ons téléphoniq­ues enregistré­es, un tabloïd suggère des soirées de débauche avec un Tom Cruise en jupe écossaise (Old England?), rumeur rapidement démentie. Mais l’ambiance est de fonte. Nicole Kidman se téléporte hors de ce mariage pourri, abandonne les délires sectaires, juste après avoir tourné « Eyes Wide Shut », où elle se promène nue sur le beat de « Baby Did a Bad Bad Thing ». La question se pose : survivra-t-elle sans Tom ? Et l’éléphant Hokulani, qu’est-il devenu ? Questions, questions…

Nicole Kidman survit, avec fougue. Elle s’enlaidit dans « The Hours », rafle des golden globes, un oscar, rebondit avec « Dogville », de Lars von Trier, se singularis­e dans « Retour à Cold Mountain », se remarie avec un rocker, Keith Urban, qui en est à sa troisième cure de désintox, chante dans « Nine » (avec un accent scandinave), incarne Grace de Monaco en 2014 et campe Gertrude Bell, espionne rivale de Lawrence d’Arabie, dans « Queen of the Desert », de Werner Herzog. Trois films en 2014, quatre en 2015, deux en 2016… Quelle boulimie ! Les doigts effilés, la silhouette toute de finesse, heureuse gérante d’une fortune estimée à plus de 400 millions de dollars, attaquée pour ses commentair­es sur Donald Trump (« Maintenant qu’il est président, il faut le soutenir »), égérie de Schweppes (« What did you expect ? »), militante pour les droits des femmes, ambassadri­ce de l’Unicef et productric­e via sa société Blossom Films, Nicole Kidman passe pour un modèle. La preuve de son profession­nalisme : sur les plateaux, elle est hyperponct­uelle. Il lui reste un poil de timidité ; en interview, il lui arrive de rosir, et c’est charmant de modestie. Quatre films à Cannes, et elle demeure modeste ? Balivernes ! La modestie, chez un acteur, c’est comme la passion chez une fille de joie.

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 ??  ?? Ci-dessus, dans la deuxième saison de « Top of the Lake », la série de Jane Campion. Page de gauche, dans « les Proies », le dernier film de Sofia Coppola.
Ci-dessus, dans la deuxième saison de « Top of the Lake », la série de Jane Campion. Page de gauche, dans « les Proies », le dernier film de Sofia Coppola.

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