L'Obs

Sous le masque d’Iñarritu

Pour la première fois, un film en RÉALITÉ VIRTUELLE, tourné par le RÉALISATEU­R de “Birdman”, est invité au Festival de Cannes. Effet de MODE ou RÉVOLUTION ?

- Par FRANÇOIS FORESTIER

« On sort de là tremblant et impression­né », a dit Thierry Frémaux. Diable ! Qu’est-ce qui peut bien transforme­r le maître d’oeuvre du Festival de Cannes en flan pâtissier ? Des zombies ? Des massacres à la tronçonneu­se ? Les sirènes d’« Alerte à Malibu » ? Non : le nouveau film d’Alejandro González Iñárritu, « Carne y Arena ». Sept minutes poignantes sur les immigrés latinos – les fameux bad hombres décrits par Trump. Une précision : le film est en VR (virtual reality, « réalité virtuelle »). C’est la première fois que cette technologi­e est invitée à Cannes. On entre dans un territoire inconnu… L’année précédente, Blake Lively, l’actrice de « Café Society », avait confondu son casque de traduction simultanée avec un masque de VR, lors de la conférence de presse ! Aujourd’hui, Iñárritu met les choses au point : « La réalité virtuelle est déjà un art. » Son film sera programmé en juin à la Fondazione Prada de Milan.

Le Festival de Venise, de son côté, annonce qu’une nouvelle section est créée : on y présentera en septembre dix-huit films en VR. Le Festival du film Tribeca, à New York, qui vient de s’achever, avec trente films en VR, a projeté « The Protectors » de Kathryn Bigelow, plongée inquiétant­e dans le quotidien des gardiens d’un parc national congolais, confrontés aux trafiquant­s d’ivoire. Hillary Clinton a vu le film : « C’est une ouverture cruciale – les spectateur­s voient ce qui se passe et réfléchiss­ent. » Toujours à Tribeca, « Altération », le film (français) de Jérôme Blanquet – une histoire de vampires suceurs de mémoire – a été classé « best narrative design » par le magazine spécialisé « The Verge ». Selon Robert Redford, saint tutélaire du Festival de Sundance, « la VR est la nouveauté en vogue, en ce moment. Mais va-t-elle durer ? » Il y a des chances. La preuve : le Sundance Institute instaure un Residency Program, destiné à « promouvoir les avancées de la VR », et être un « incubateur de talents ».

Incubons donc. La profession suit à grandes foulées : Ridley Scott a créé RSA VR, une société entièremen­t consacrée à la réalité virtuelle. L’un des plus anciens studios de Hollywood, la 20th Century Fox, vient de financer un Fox Innovation Lab, destiné à l’exploratio­n des nouvelles technologi­es. Mieux : pour célébrer le centenaire du National Park Service, le président Barack Obama lui-même a participé à « Through the Ages », un documentai­re de onze minutes en VR tourné à Yosemite, afin de souligner la nécessité de continuer le combat pour l’environnem­ent – désormais menacé par la nouvelle administra­tion.

Mais la surprise est venue, il y a quelques jours, avec l’annonce de Mark Zuckerberg. Analysant les chiffres de croissance des équipement­s VR (déjà un milliard de dollars de recettes prévues cette année et une expansion estimée à 1 047% par le magazine « Business Insider »), le fondateur de Facebook a décrit un proche avenir dans lequel la réalité virtuelle et la réalité augmentée vont se fondre. Du coup, dit-il, c’est la fin des smartphone­s, des tablettes, des PC et des postes de télé. En effet, pourquoi posséder l’un de ces objets, si mes lunettes m’offrent « un écran plus grand que n’importe quelle salle », ou me connectent à internet sur simple demande vocale ou par la pensée ? Le plan Facebook est prévu sur dix ans, avec un premier financemen­t de… 3 milliards de dollars. Waouh ! L’équivalent du PNB des Maldives.

Iñárritu, cependant, précise : « On n’en est qu’aux premiers pas. On pense que la VR est un prolongeme­nt du cinéma. Alors que ce n’est pas ça. Au cinéma, on regarde à travers un petit trou, et le spectateur doit imaginer tout ce qui n’est pas dans le cadre. La VR, c’est le contraire. » Le huitième art, donc ? La suite bientôt sur votre écran.

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