L'Obs

ÉDOUARD AUX MAINS DE MACRON

Après avoir longtemps cru à la victoire d’Alain Juppé à la présidenti­elle, Edouard Philippe a cédé aux sirènes macroniste­s. Qui est vraiment le nouveau Premier ministre qui se proclame “homme de droite” aussitôt nommé ? Portrait

- Par MAËL THIERRY

Il ne l’avait pas du tout calculé. En septembre 2016, dans un restaurant près de l’Assemblée nationale, Edouard Philippe est d’un scepticism­e absolu devant le phénomène Macron : « Je l’aime bien, il a une bonne tête, entame-t-il, mais il n’y a rien, c’est totalement vide ! Il a une très forte notoriété, une image, comme une vedette de la Star Academy. Mais quand vous demandez aux gens de citer leurs dix chanteurs préférés, il n’est pas dans la liste. » A l’époque, le fidèle lieutenant d’Alain Juppé a toutes les raisons de croire que son mentor bordelais, au firmament dans les sondages, finira à l’Elysée. Macron n’est qu’un ministre démissionn­aire, sans vrai parti ni programme. C’était il y a neuf mois, avant que l’ancien monde politique ne soit englouti.

Dans le nouveau monde, Edouard Philippe a osé ce que luimême qualifie de « transgress­ion ». Lui, l’énarque choisi par Juppé en 2002 après deux entretiens de dix minutes pour être le directeur général de l’UMP, le député-maire Les Républicai­ns du Havre depuis sept ans, fait le grand saut. « Il a de l’audace, ce n’est pas pour rien que son écrivain préféré est Alexandre Dumas », dit un proche qui souligne que le maire de Bordeaux, lui, n’aurait pas été capable d’une telle rupture par rapport à sa famille politique. « Edouard a eu l’intuition que ce serait lui, je l’ai senti prêt », raconte l’élu parisien Pierre-Yves Bournazel, qui l’a eu au lendemain du premier tour. Un juppéiste renchérit : « On a anticipé depuis longtemps sur le fait que Macron voulait casser la droite. Juppé à Matignon, ce n’était pas possible pour le renouvelle­ment, Raffarin non plus, le seul possible, c’était lui. »

Sur le papier, Edouard Philippe, 46 ans, a le profil parfait : ancien rocardien, donc compatible avec une partie de la gauche réformiste, élu local à la forte légitimité, dans une ville populaire et ancienneme­nt communiste. Il incarne le renouvelle­ment promis puisque son visage que cache une barbe soigneusem­ent taillée est inconnu du grand public. Ne manque à ce grand type mince, un peu dégingandé et touche-à-tout – il a écrit deux romans politiques avec son copain Gilles Boyer – que l’exercice gouverneme­ntal. Il a été député, mais pas ministre. Il faut dire que ses relations avec Nicolas Sarkozy ont été orageuses, au point que les deux hommes ont frôlé l’affronteme­nt. C’était en 2002, lors du congrès fondateur de l’UMP et le juppéiste voulait empêcher le ministre de l’Intérieur de voler la vedette à son patron.

Edouard Philippe a rencontré Emmanuel Macron, de sept ans son cadet, en 2011, lors d’un dîner chez un ami issu du Conseil d’Etat, comme lui : l’actuel patron de Sciences-Po, Frédéric Mion. Le courant passe. Un autre homme dont ils sont tous les deux proches fait le lien : Alexis Kohler, ex-dircab de Macron à Bercy et nouveau secrétaire général de l’Elysée. L’ex-banquier de chez Rothschild et l’élu havrais prennent l’habitude d’échanger. Sans devenir amis intimes. Lorsque les époux Macron visitent l’été dernier l’expo Eugène Boudin au musée d’art moderne du Havre, le maire n’est pas là. Pas de dîner non plus l’hiver dernier, contrairem­ent à ce qu’a relaté la presse locale. « Ils ne se connaissen­t pas très très bien, reconnaît l’inséparabl­e

SUR LE PAPIER, ÉDOUARD PHILIPPE A LE PROFIL PARFAIT : ANCIEN ROCARDIEN, ÉLU LOCAL À LA FORTE LÉGITIMITÉ DANS UNE VILLE ANCIENNEME­NT COMMUNISTE.

ami d’ “Edouard”, Gilles Boyer. Mais Macron est comme lui, cool, pragmatiqu­e. Et sa démarche intellectu­elle qui veut réunir les meilleurs des deux camps n’est pas très éloignée de celle de Juppé. » Les routes d’« Emmanuel » et d’« Edouard », purs produits de l’élite française, devaient forcément se croiser. Ils ont tous les deux été repérés comme de futurs dirigeants prometteur­s par la French-American Foundation, et sélectionn­és pour le programme Young Leaders à un an d’intervalle (en 2011 et 2012). Du temps où il s’occupait des affaires publiques d’Areva (2007-2010), Edouard Philippe avait aussi planché pour sa patronne Anne Lauvergeon, membre de la commission Attali… dont Emmanuel Macron était rapporteur. Le nouveau couple exécutif a le même ADN, un goût commun pour les lettres et la politique. L’un et l’autre ont été rocardiens. Lorsqu’il était étudiant à Sciences-Po, Edouard Philippe a dévoré la biographie de Mendès France signée Jean Lacouture et milité deux ans au Parti socialiste. Des années plus tard, Laurent Cibien, un de ses copains d’hypokhâgne au prestigieu­x lycée parisien Janson-de-Sailly, s’en étonnera : « Comment es-tu devenu de droite ? » Cela lui donnera l’idée d’un documentai­re, « Edouard, mon pote de droite », qui n’a pas été évident à financer. C’est lors de ses années à l’ENA (promotion Marc Bloch) qu’Edouard Philippe évolue, lit des penseurs libéraux, fait son stage à New York et vit son service militaire comme un moment fondateur. « Il en parle tout le temps », confie un ami.

Comme Macron, l’énarque expériment­e aussi le privé. Il a été avocat au cabinet Debevoise & Plimpton LLP, puis lobbyiste du nucléaire. C’était en 2007 : Areva cherche alors un directeur des affaires publiques. « A l’époque, c’était tendu entre Anne Lauvergeon et Nicolas Sarkozy. Il nous fallait une pointure, proche de la nouvelle majorité de droite, raconte Jacques-Emmanuel Saulnier, alors directeur de la communicat­ion du géant du nucléaire. Chez nous, Edouard Philippe a suivi de gros dossiers comme le projet de fusion avec Alstom, l’ouverture du capital. » L’adjoint au maire du Havre qu’il est aussi alors fait le lien avec tous les élus de l’atome : Arnaud Montebourg – il a deux sites Areva dans sa circonscri­ption de Saône-et-Loire –, mais aussi Bernard Cazeneuve, député de la Manche – où se trouvent la centrale nucléaire de Flamanvill­e et l’usine de la Hague –, qu’il connaissai­t donc déjà bien avant de lui succéder à Matignon. Dans ces années-là, il partage son bureau avec Charles Hufnagel, qui deviendra plus tard le responsabl­e presse de Juppé et est désormais le nouveau patron de la communicat­ion du Premier ministre. Chez Areva, Edouard Philippe, « bosseur » mais aussi « déconneur », impose sa marque. Il gagne la confiance d’Anne Lauvergeon. « C’est quelqu’un de fin, d’extrêmemen­t intelligen­t, pas idéologue, en distanciat­ion sur les sujets. Il a un petit côté britanniqu­e, dit-elle. Et il imite Chirac à merveille, c’est d’un niveau profession­nel. J’ai le souvenir de fous rires. » Ce passé pro-nucléaire devrait en revanche moins faire rire les écolos.

“C’EST QUELQU’UN DE FIN, D’EXTRÊMEMEN­T INTELLIGEN­T, PAS IDÉOLOGUE, EN DISTANCIAT­ION SUR LES SUJETS.” ANNE LAUVERGEON

Edouard Philippe a d’autres amis bien placés : l’économiste et essayiste Jacques Attali, l’un des invités d’Emmanuel Macron à la Rotonde, l’apprécie beaucoup. Il a créé avec lui au Havre le Positive Economy Forum, une sorte de mini Davos réunissant intellectu­els et décideurs tous les ans dans l’ancien fief communiste. Alexandre Bompard, le patron de la Fnac, est un ami. L’an dernier, le lieutenant de Juppé a aussi décroché le Graal : une invitation à la très sélecte réunion du groupe Bilderberg à Dresde, en Allemagne. Un sommet réunissant les leaders les plus influents de la planète, du ministre allemand Wolfgang Schaüble à la patronne du FMI Christine Lagarde, et présidé par l’ancien PDG d’Axa, Henri de Castries.

En 2001, c’est le chiraquien Antoine Rufenacht, alors maire du Havre, qui donne à ce brillant techno sa chance de se construire une implantati­on politique locale. Edouard Philippe est natif de Rouen, mais sa famille paternelle est havraise depuis le xviiie siècle et son grand-père fut docker. Il succédera à Rufenacht au cours de son mandat, en 2010, et sera réélu dès le premier tour quatre ans plus tard. Malgré ses nombreuses initiative­s, dont un festival littéraire, il donne parfois l’image d’un élu froid ou distant. Père de trois enfants, il passe une partie de sa semaine dans son appartemen­t parisien – dont il a, du reste, refusé d’évaluer la valeur auprès de la Haute Autorité pour la Transparen­ce de la Vie publique. Au Havre, son choix de céder aux sirènes macroniste­s fait tiquer Rufenacht qui lui a fait la leçon en meeting avant sa nomination : « Je souhaite qu’Edouard accède à des responsabi­lités nationales mais pas trop vite ! Après le 18 juin. Faisons d’abord triompher nos idées. » La semaine dernière, le président de la région Normandie, Hervé Morin, l’a aussi mis en garde : « Tu sais, le risque pour ceux qui entrent au gouverneme­nt c’est d’être les Kouchner ou Fadela Amara de 2007. Soit tu représente­s un groupe parlementa­ire, soit tu n’existes pas. » Un de ses amis s’interroge : « Ce n’est pas un béotien. Mais qu’est-ce qu’il vaut en temps de tempête, ça, je ne sais pas ! Edouard, c’est un peu comme Macron : c’est une question. Deux questions à la tête de l’Etat, est-ce que ça ne fait pas un peu beaucoup ? »

Qu’importe, il n’a pas voulu attendre. « Il a du panache, Edouard, il n’a pas peur », dit Charles Hufnagel. Avant de faire le grand saut, le maire du Havre a consulté Juppé, qui l’a laissé faire. « Ils se comprennen­t sans se parler », dit d’eux Gilles Boyer. Il a aussi fait le tour de sa petite bande d’amis juppéistes et lemairiste­s, celle qui dînait encore ensemble le 5 mars, le jour du rassemblem­ent au Trocadéro. Qu’est-ce qui, au final, l’a convaincu ? Est-ce sa pratique de la boxe et l’envie de monter sur le ring ? Son « excès de confiance en lui », son « arrogance » et son « ambition démesurée » pointés par la journalist­e Gaël Tchakaloff, dans son livre « Lapins et merveilles » ? « Dans toutes les équipes de campagne, il y en a toujours un dont on sait d’avance qu’il prendra la lumière. C’était Rachida chez Sarkozy, c’était Najat chez Hollande, c’est Edouard chez Juppé, y écritelle. Il est la pépite, la découverte, la future idole juppéiste. Ça aussi, il le sait. » Ou n’est-ce pas surtout le sentiment désormais répandu dans sa génération à droite que l’occasion de gouverner ne se représente­ra pas de sitôt ?

“CE N’EST PAS UN BÉOTIEN, MAIS QU’EST-CE QU’IL VAUT EN TEMPS DE TEMPÊTE, ÇA, JE NE SAIS PAS ! ÉDOUARD, C’EST UN PEU COMME MACRON : C’EST UNE QUESTION.” UN PROCHE

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En novembre 2016 au Havre, en campagne au côté d’Alain Juppé, candidat à la primaire de la droite.
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