UN PRÉSIDENT À L’ÉPREUVE DU RÉEL
La feuille de route était pourtant claire, mais la préparation des législatives a parfois tourné à la foire d’empoigne. Avec ses inévitables couacs. Récit
Dieu que le secret a été soigneusement gardé! Ce 11 mai, au QG de La République en marche, alors que la liste des candidats investis aux prochaines législatives doit être dévoilée quelques minutes plus tard, même les plus proches demeurent dans l’ignorance. Le député socialiste et porte-parole Christophe Castaner avoue aux journalistes qu’il n’est pas dans la confidence : « Je vais faire comme vous, écouter attentivement la conférence de presse… » Un autre cadre du parti, le sénateur socialiste François Patriat, en perd aussi son latin. Membre de la commission nationale d’investiture, il a travaillé « jusqu’à trois heures du matin ». Visiblement sans résultats probants. Réuni le matin-même, le conseil d’administration, censé avaliser les choix de ladite commission, est toujours sur le pont. Ce n’est qu’à l’arrivée de Richard Ferrand, le secrétaire général du parti, et de ceux qui sont surnommés les « Macron Boys » (Ismaël Emelien, Benjamin Griveaux, Julien Denormandie, Stéphane Séjourné…) que la fumée blanche est aperçue. En tout petit comité autour d’Emmanuel Macron – comme à leur habitude désormais –, ils ont décidé.
A l’épreuve du réel, la définition du macronisme s’écrit petit à petit. Pour réaliser la révolution de la vie politique française, qu’il appelle de ses voeux depuis son émancipation du hollandisme, il n’hésite pas à changer les moyens pour parvenir à ses fins. Quand survient une difficulté, elle est immédiatement surmontée, quitte à revenir parfois sur les dogmes d’hier. « Il n’y aura aucun accord d’appareil avec quelque parti que ce soit », déclarait
Emmanuel Macron le 19 janvier, avant de passer un accord avec le MoDem. « Je prône le renouvellement des visages et cela s’applique à l’équipe gouvernementale de manière très claire », affirmait-il le 28 mars, avant de prendre d’anciens ministres dans son gouvernement. A chaque étape, des petits reniements… Pourvu que sa marche ne soit pas ralentie.
L’imbroglio des investitures aux législatives n’est pas l’exemple le moins parlant. La vitrine est impeccable et louable. Tout y est : la parité, le renouvellement, la société civile. Sur les 428 candidats annoncés le 11 mai, il y a 214 hommes et 214 femmes. La moyenne d’âge est de 46 ans, contre 60 ans actuellement à l’Assemblée. 52% des prétendants n’ont jamais eu de mandats électifs. Mais en coulisses, l’histoire est plus compliquée. Le temps passé à élaborer la fameuse liste en témoigne. En début d’année, 200 investitures étaient promises pour la fin mars… Seules 14 étaient finalement annoncées en avril. Jusqu’au bout, l’entreprise a paru laborieuse. Au lendemain de l’élection, 428 noms sont rendus publics. Si des dizaines d’autres sont ajoutés les jours suivants, jamais le nombre de 577, initialement prévu, n’est atteint. La faute, là aussi, à des ajustements de dernière minute.
En moins d’une heure, la première liste d’investitures a été remplacée. Des erreurs à la pelle ont dû être rectifiées. C’est le député socialiste, François Pupponi, qui ne veut pas de l’étiquette LREM dans le Val-d’Oise. C’est le président du club de rugby toulonnais, Mourad Boudjellal, qui n’entend pas se présenter. C’est le député MoDem, Thierry Robert, investi alors que déjà condamné, ou le député PRG Stéphane Saint-André, qui ne souhaite pas avoir le soutien du mouvement macroniste. Pas facile de manier les vieilles ficelles, surtout pour un nouveau parti.
LA COLÈRE DE BAYROU
Ce 11 mai, le maire de Pau n’est pas loin de se sentir floué. En échange de son soutien au printemps, il avait, jure-t-il, négocié avec Emmanuel Macron l’investiture de 120 candidats du MoDem. Et voilà que Richard Ferrand, le secrétaire général de REM, lui annonce vers 12h que le « conseil d’administration » du mouvement en a décidé autrement ! « Conseil d’administration » ! Bayrou s’étrangle presque à l’évocation de cette terminologie terriblement managériale. Au-delà de la sémantique, le compte n’y est pas. Le patron du MoDem a calculé qu’on lui aurait supprimé l’investiture dans plus de 60 circonscriptions. Notamment à Paris, où Marielle de Sarnez, son bras droit, n’est alors pas investie. Il repère aussi que La République en marche ménage les anciens ministres hollandais, « repoussoirs » socialistes, en ne présentant pas de candidat face à eux. « Je ne laisserai pas faire ce grand recyclage ! » déclare-t-il alors à « l’Obs ».
Après ses coups de gueule très calculés, à la veille de la cérémonie d’investiture, il obtiendra satisfaction. Pas forcément mécontent d’avoir démontré au passage que la posture gaullienne d’Emmanuel Macron ne lui interdit pas de céder lui aussi, si nécessaire, à la petite tambouille politicienne. Au prix d’exceptions, parfois de taille, à la règle de renouvellement initialement fixée : finalement investie dans la 11e circonscription de Paris, son amie Marielle a déjà effectué quatre mandats de député européen.
L’HUMILIATION DE VALLS
Manuel Valls, il y a encore quelques mois, était encore dans le peloton des candidats à l’élection présidentielle. Et puis, le crash a eu lieu. Comme la plupart de ses amis, il n’a pas vu venir le cyclone Macron. Malgré sa défiance légendaire à l’encontre du PS, dont il jugeait la mort imminente, il est resté droit dans ses bottes, dans une forme de « ni-ni » politique, ni vraiment socialiste ni vraiment ailleurs. Une posture illisible pour les Français. « C’est sans doute cette position d’entre-deux qui l’a carbonisé, confie un de ses plus proches amis. L’opinion n’a pas compris. Il est devenu Brutus pendant que Macron était, lui, Robin des Bois. C’est totalement injuste, très cruel, mais c’est ainsi. » Terrible épreuve pour l’ancien Premier ministre, aujourd’hui devenu
un candidat hors-sol dans sa circonscription d’Evry. Ni investi par le PS, qui a engagé une procédure d’exclusion contre lui, ni adoubé par REM, qui le bat froid avec un sadisme politique peu délicat.
Valls engage une campagne électorale de la dernière chance. « Il joue sa survie politique, dit un proche. Le plus cruel dans cette a aire ? Macron et lui sont pratiquement d’accord sur tout politiquement. Quand il lui a fermé la porte alors que Manuel venait de faire un acte d’allégeance terrible pour lui, il l’a vécu douloureusement. Il s’est senti humilié. Pour lui, Macron s’est comporté comme un caïd sans scrupules. » Petite vengeance de l’homme meurtri : dans un entretien au « JDD », le 14 mai, l’ancien locataire de Matignon a dénoncé la « méchanceté » du nouveau président, étrange formulation venant d’un homme habitué à la dureté du combat politique. Dans cette ambiance de vendetta politique, la campagne d’Evry sera observée à la loupe.
LA SURPRISE GANTZER
C’était l’invité surprise des premières investitures aux législatives de La République en Marche. Gaspard Gantzer, conseiller en communication de l’Elysée jusqu’à dimanche dernier, était investi dans la 2e circonscription d’Ille-et-Vilaine. Un parachutage en règle, et en or, pour ce Parisien de naissance, dans un territoire où Emmanuel Macron avait réuni sous son nom 35% des su rages au premier tour de la présidentielle. Un parachutage, surtout, qui n’aura duré que vingt-quatre heures, le temps pour l’homme de 37 ans de se rendre compte de son erreur. Comment un tel couac a-t-il été possible? Tout commence il y a quelques semaines. Macron, son camarade de promotion à l’ENA, appelle Gantzer pour tâter le terrain. « Réfléchis aux législatives », lui dit le candidat à la présidentielle. Réponse du conseiller du Palais : « J’aurais peut-être envie de faire de la politique plus tard, mais pas forcément aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, ce serait chez moi, à Paris. »
Puis, plus rien. Avant un texto de Stéphane Séjourné, l’homme chargé des relations avec les élus à REM, envoyé à 3h30, le matin-même des premières investitures. Son contenu est lapidaire : « Rappelle-moi TTU. » Comprendre : « très très urgent. » Aux aurores, Gantzer le rappelle alors et proposition lui est faite d’aller en Bretagne. Peu importe qu’il n’ait jamais rempli de dossier de candidature… Précision d’importance : tout est calé sur le terrain. « Honoré », l’intéressé se laisse tenter. Mais il va rapidement déchanter. Quelques coups de téléphone plus tard, il s’aperçoit que l’accueil sur le terrain est beaucoup moins chaleureux qu’annoncé. Ce que Jean-Yves Le Drian, le patron des socialistes dans la région, lui confirme. De guerre lasse, il préfère jeter l’éponge. Gantzer ira finalement dans le privé : il créera une société de conseil en communication à la rentrée.