L'Obs

QU’EST-CE QUE LE MACRONISME ?

Pour le politologu­e Roland Cayrol, même en cas de majorité absolue le 18 juin, une logique de compromis pourrait s’imposer à l’Assemblée. Avec à la clé un contrat de législatur­e cher à Mendès France

- Par NATHALIE FUNÈS

Qu’est-ce que le macronisme ?

La grande force d’Emmanuel Macron, c’est de n’être ni de droite ni de gauche ni au centre, mais à la fois de droite et de gauche, central. La meilleure preuve : dans les 24% d’électeurs qui ont voté pour lui au premier tour, la moitié venait de la gauche et l’autre moitié du centre et de la droite. Il y a eu des candidats centristes par le passé. Jean Lecanuet en 1965, ou François Bayrou, en 2007, qui a raflé 18,6% des suffrages. Mais le centrisme, c’est aussi une acceptatio­n des deux camps. Et les candidats centristes – Giscard compris, en 1974 – aspiraient essentiell­ement à regrouper le centre-droit et la droite. Or, aujourd’hui, les Français en ont assez que la politique soit réduite à une guerre de camps. Ils ont envie que gauche et droite travaillen­t ensemble pour résoudre leurs problèmes. Comme on disait sous la IIIe République, « il faudra couper les deux bouts de l’omelette ».

Emmanuel Macron a surfé sur cette nouvelle tendance de l’opinion ?

Il l’a sentie et captée. C’est la France qui a inventé les concepts de gauche et de droite en 1789 et les a exportés partout dans le monde. Ces concepts ont encore un sens. Neuf personnes sur dix sont capables de se situer sur une échelle gauche-droite. Chacune des deux notions fait référence à des moments et à des figures auxquels on adhère, comme les supporters d’une équipe sportive. Mais on assiste à un double phénomène, un rejet de ce vieux clivage d’une part, de la politique elle-même d’autre part. Les Français y croient de moins en moins, sont de plus en plus persuadés que les promesses ne seront pas tenues, au profit de petits arrangemen­ts entre amis, et les « affaires » à répétition viennent renforcer ce sentiment de défiance. Les magouilles des hommes politiques ont longtemps fait partie du folklore. Maintenant, on veut les sanctionne­r. François Fillon a été éjecté au premier tour en grande partie à cause de sa mise en examen. Marine Le Pen, que l’on disait préservée, en subit aussi les conséquenc­es. Sur les dix points qu’elle a perdus pendant la campagne, quatre sont imputables aux affaires.

C’est donc une nouvelle page de l’histoire politique française qui s’ouvre ?

Il y a plusieurs scénarios possibles. Si les candidats de La République en marche ont la majorité absolue à l’Assemblée, et si cette majorité est discipliné­e, un régime super-présidenti­el pourrait continuer. Si la gauche ou la droite l’emportent – deux hypothèses peu probables –, on aura une cohabitati­on. Mais s’il n’y a pas de majorité absolue macronienn­e, et peutêtre aussi s’ils l’obtiennent – tant ils sont divers –, une logique de compromis s’installera au Parlement. Il y aura alors un contrat de législatur­e, comme le souhaitait Pierre Mendès France. Le président aura tous ses pouvoirs, mais il devra négocier. La quasi-totalité des régimes parlementa­ires européens expériment­ent ces compromis depuis longtemps et ils ne sont pas moins stables que nous ! La France reviendrai­t alors aux fondements de la Constituti­on de 1958, ce serait un régime mi-présidenti­el, mi-parlementa­ire rationalis­é, une Ve République bis.

Ce serait aussi l’occasion pour la gauche de se convertir au libéralism­e ?

La gauche française n’a jamais été libérale, ni sous la Révolution, ni au xixe siècle, ni depuis, malgré l’existence d’un courant philosophi­que libéral fort. Il faut relire les discours de Jaurès et de Blum qui évoquent la dictature du prolétaria­t. Ou ceux de Mitterrand lors de la création du PS en 1971, exigeant d’un socialiste la rupture avec le capitalism­e. Une gauche libérale assumée serait une première dans l’histoire de France. Cette tradition existe dans la plupart des pays, mais chez nous, la culture militante marxiste a toujours été très prégnante. Le premier texte doctrinal du Parti socialiste se prononçant pour « une économie sociale et écologique de marché » date seulement de 2008, quand François Hollande en était le premier secrétaire. A l’Elysée, Hollande a lancé les réformes économique­s de l’ouverture libérale, mais sans jamais oser le revendique­r pleinement. Il a ainsi ouvert la voie au macronisme.

 ??  ?? Roland Cayrol est directeur de recherche associé au Cevipof. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « les Raisons de la colère », publié en mars dernier chez Grasset.
Roland Cayrol est directeur de recherche associé au Cevipof. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « les Raisons de la colère », publié en mars dernier chez Grasset.

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