L'Obs

LES MODÈLES EUROPÉENS DE MACRON

Avant nous, d’autres pays se sont employés à faire sauter les digues entre la droite et la gauche. Pour quels résultats?

- Par SARAH HALIFA-LEGRAND

Le macronisme est-il un ovni? Peut-être. Mais il ne surgit pas de nulle part. Emmanuel Macron se réclame de plusieurs exemples en Europe qui ont déjà remis en question le clivage entre la gauche et la droite pour construire, au nom du pragmatism­e, une politique puisant à la fois dans les deux camps opposés. Autant d’expériment­ations qui lui servent d’inspiratio­n, pour leurs méthodes ou leurs idées. Modèle scandinave, grande coalition allemande, ou réformisme italien à la Matteo Renzi, quel sera l’horizon du macronisme ?

LA MÉTHODE SCANDINAVE

« Avec les retraites et le chômage, nous proposons une nouvelle approche du travail. C’est le modèle scandinave », a revendiqué Jean Pisani-Ferry, l’économiste en chef du programme de Macron. Les démocratie­s nordiques, championne­s du social-libéralism­e pour leur aptitude à concilier capitalism­e et égalité sociale, font rêver En Marche !. Suède, Norvège, Finlande, Danemark et Islande sont parvenus à faire coexister réduction des dépenses publiques et service public performant, compétitiv­ité et protection des citoyens. Bref, à mener une politique à la fois de droite et de gauche. Exemple: la flexisécur­ité danoise, que Macron lorgne tout particuliè­rement. Celle-ci associe une grande flexibilit­é sur le marché du travail et une forte protection sociale. Il n’y a pas de CDI, il est aussi facile de licencier que d’embaucher, mais, en contrepart­ie, l’indemnisat­ion du chômage est généreuse (deux ans à 90% du salaire pour les bas revenus), et les aides à la formation et à la recherche d’emploi sont solides, à condition que les chômeurs s’efforcent de trouver du travail activement et s’adaptent au marché de l’emploi, quitte à prendre des postes qui ne les satisfont pas.

Comment ce pays a-t-il réussi ce tour de force ? Il n’y a eu ni révolution, ni homme providenti­el, ni 49.3. Non, le Danemark, comme ses frères scandinave­s, a fait sa mue en restant fidèle à sa culture pragmatiqu­e et consensuel­le. D’abord parce que ce sont des régimes parlementa­ires avec des représenta­tions proportion­nelles, où prédominen­t donc des gouverneme­nts de coalition ou minoritair­es habitués au compromis. Ainsi, la flexisécur­ité a été introduite au Danemark par un gouverneme­nt social-démocrate qui disposait d’un appoint du centre-droit. Ensuite, parce que « la culture nordique a mis la concertati­on de longue durée au coeur de son modèle, explique Yohann Aucante, spécialist­e de ces pays à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales (EHESS) : les commission­s parlementa­ires et la négociatio­n collective entre les partenaire­s sociaux ont un rôle central dans la conception des politiques publiques. » Dans ces pays, les politiques recherchen­t le consensus avec les syndicats, qui représente­nt encore de 63% à 70% des employés. La Suède a mis dix ans à réformer son système de retraite, laissant le dialogue social se poursuivre malgré une alternance politique. « Gouverner par ordonnance est donc aux antipodes de la tradition scandinave », fait remarquer le chercheur. Si Macron veut s’inspirer du social-libéralism­e scandinave, il n’en prend pas le chemin sur le plan de la méthode…

LA GRANDE COALITION ALLEMANDE

Le macronisme va-t-il plutôt finir comme une grande coalition à l’allemande? Sur le fond, ce type d’alliance pragmatiqu­e de

la gauche progressis­te et de la droite réformiste, « c’est exactement le projet d’En Marche ! », a fait remarquer Emmanuel Macron sur RTL le 3 mars. La grande coalition au pouvoir depuis 2013 en Allemagne, qui rassemble les deux principaux partis, la CDU chrétienne-démocrate de la chancelièr­e Angela Merkel et les sociaux-démocrates du SPD, mène une politique foncièreme­nt conservatr­ice mais teintée de mesures de gauche, comme le salaire minimum à 8,50 euros de l’heure, la retraite à 63 ans au lieu de 67 pour les salariés ayant cotisé quarante-cinq ans, ou la double nationalit­é pour les enfants d’étrangers nés en Allemagne. C’est la troisième fois depuis 1945 que CDU et SPD gouvernent en grande coalition, faute d’avoir pu obtenir de majorité lors des législativ­es.

Comment ont-ils fait pour s’entendre ? Ils ont négocié pendant de longues semaines pour obtenir un accord de compromis dans lequel le SPD, bien que partenaire junior de ce mariage, est parvenu à imposer ces avancées sociales. Si les Allemands apprennent à vivre depuis peu avec cette « démocratie du consensus » au niveau fédéral, elle est pratiquée de manière extensive dans les Länder et entre l’Etat fédéral et les pouvoirs régionaux. Au final, la grande coalition a donné lieu à une politique de continuité, mais aussi de lenteur, tout en permettant de réintrodui­re du social dans un programme marqué par la rigueur budgétaire. Elle a également permis de gérer de manière consensuel­le le défi posé par le million de réfugiés entré en Allemagne en 2015. La grande gagnante de cet attelage, c’est Angela Merkel, qui a ainsi « gauchisé » légèrement son image et gagné des électeurs aux dépens du SPD. Mais le modèle allemand présente un défaut de taille aux yeux de Macron : il est le résultat d’une négociatio­n entre partis, alors que lui entend imposer son projet. « On ne peut pas constituer un système à l’allemande parce que c’est un régime parlementa­ire, qui construit après les résultats des élections, des alliances dans des accords de coalition longuement négociés. Cela n’est pas possible en France parce que le système est consolidé par l’élection présidenti­elle », avait-il expliqué en mars. C’est vite dit ! Les résultats d’En Marche ! aux législativ­es le contraindr­ont peut-être à découvrir les joies de la coalition.

LE RÉFORMISME ITALIEN DE MATTEO RENZI

Le modèle qui ressemble le plus au macronisme est peut-être le renzisme. « Si j’étais français, je voterais probableme­nt pour Macron », a déclaré Matteo Renzi. Le président français lui a déjà fait un emprunt : le chèque culture pour les jeunes. Comme Macron, l’Italien s’est installé à 39 ans à la présidence du Conseil, avec l’intention de bouleverse­r la politique italienne. Comme lui, « Il rottamator­e » s’est juré d’« envoyer à la casse » la vieille classe gouvernant­e, en commençant par écarter le chef du gouverneme­nt Enrico Letta, pourtant du même camp que lui. Sa devise aurait pu être celle de Macron : « Ce qui marche est juste, même si cela contredit tous les dogmes. » Bien qu’il soit membre du Parti démocrate, quand Macron, lui, refuse l’étiquette socialiste, Renzi n’hésite pas à faire des embardées à droite. Il fait une politique « progressis­te » dans un « pays qui n’est pas foncièreme­nt de droite, ni nécessaire­ment condamné au déclin économique et civil ». Impatient et pragmatiqu­e comme Macron, mais plus arrogant et populiste, il a imposé ses réformes sans chercher la conciliati­on, en ignorant la colère de l’aile gauche de son parti et des syndicats. Il s’est inspiré, lui aussi, du répertoire scandinave pour son Jobs Act, qui a introduit la flexisécur­ité dans le marché du travail italien : il a rompu avec le CDI tout en instaurant une protection des salariés en fonction de leur ancienneté, en posant les fondamenta­ux d’un revenu minimum d’insertion et en étendant l’assurance-chômage. Il s’est attelé à réduire les dépenses dans la fonction publique, en limitant les salaires des fonctionna­ires et en rendant leur licencieme­nt possible. Sa réforme de la justice comprend également des volets qui ont fait bondir la gauche, comme le nombre de tribunaux divisé par deux et la réduction des congés des magistrats. Mais il a aussi fait adopter l’union civile pour les homosexuel­s. Autant de réformes qui empruntent à la droite et à la gauche. A-t-il été trop orgueilleu­x, rendu sourd à toute recherche de concertati­on? Son ambitieux projet de renouvelle­ment de la politique a fini droit dans le mur, quand les Italiens ont rejeté à presque 60% sa réforme constituti­onnelle lors du référendum plébiscita­ire de 2016. Sa spectacula­ire démission après trois ans de pouvoir est une leçon à méditer pour Macron.

LA RANÇON DU PRAGMATISM­E

Autre enseigneme­nt, toutes ces expérience­s ont eu pour effet collatéral de ne pas empêcher la progressio­n des partis anti-système, notamment d’extrême droite. Ils ont occupé le champ laissé libre par la droite et la gauche en prenant le monopole de l’opposition. En Allemagne, le parti anti-migrants AfD est monté en puissance jusqu’à ce que le SPD se reposition­ne à gauche il y a deux mois. « L’esprit de compromis des démocratie­s nordiques est faussé par les droites radicales qui ont désormais une représenta­tion significat­ive au Parlement, commente le chercheur Yohann Aucante. Pour la première fois, la Norvège est gouvernée par une coalition de droite radicale et de droite classique. » En Italie, le mouvement anti-système 5 Etoiles est en tête dans les sondages. Macron aura été averti.

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La culture nordique a mis la concertati­on au coeur de son modèle. Ici, le Parlement danois.
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Le vice-chancelier et ministre de l’Economie Sigmar Gabriel (SPD) et Angela Merkel (CDU) en 2016. La coalition des deux partis est au pouvoir depuis 2013 en Allemagne.

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