L'Obs

“LE PRÉSIDENT DOIT PRENDRE LE TEMPS DU DIALOGUE”

Emmanuel Macron veut décentrali­ser le dialogue social au niveau de l’entreprise. Ouvert à cette réforme du Code du Travail, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, pose des conditions

- Propos recueillis par SOPHIE FAY et PASCAL RICHÉ

Emmanuel Macron a besoin des syndicats réformiste­s pour dérouler son projet. Avez-vous le sentiment d’être l’homme-clé de ce début de quinquenna­t ?

Je ne suis pas plus l’homme-clé de ce début de quinquenna­t que je n’étais le ministre du Travail du précédent ! Ce qui intéresse la CFDT, c’est le fond des sujets pour les salariés. Le nouveau président est tout juste investi et nous sommes déjà sommés de nous positionne­r sur sa politique. Pourquoi pas sur son bilan tant qu’on y est ? Moi, je dis : laissons-le former son gouverneme­nt. La CFDT n’est ni un opposant de principe ni un allié.

N’avez-vous pas peur d’être un peu seul face à lui, notamment dans la discussion sur le Code du Travail ?

Je souhaite que de nombreuses autres organisati­ons sortent du jeu des postures et examinent les projets qui seront avancés : certains peuvent être positifs, d’autres non. Un président a été élu. Il faut respecter ce choix démocratiq­ue et le laisser préciser ses ambitions. Mais nous l’appelons à ne pas agir dans la précipitat­ion. Et à garder à l’esprit que beaucoup de gens n’ont pas voté pour lui par adhésion, mais pour repousser le risque du FN. C’était le sens de l’appel de la CFDT. Il doit aussi entendre que la société ne va pas bien, qu’il y a des territoire­s abandonnés, avec des gens qui, sans être forcément pauvres, ont le sentiment qu’on ne s’occupe plus d’eux, parce que les services publics se sont éloignés, que les industries ont disparu, que les transports sont compliqués.

Connaissez-vous Edouard Philippe, le Premier ministre ?

Pas du tout. Dans les entreprise­s, nous ne choisisson­s pas notre direction. Au gouverneme­nt, nous faisons aussi avec ceux qui sont en place. J'espère qu'il sera à l'écoute et nous recevra rapidement. Nous lui remettrons un dossier d'une cinquantai­ne de pages, avec des propositio­ns, autour de trois thèmes : investir pour créer les emplois de demain, investir dans l'émancipati­on des personnes et faire du dialogue social le levier privilégié du changement.

Sur le projet de réforme du Code du Travail, qu’est-ce qui vous agace le plus ? La méthode ou le fond ?

Sur le fond, nous avons des désaccords. Nous sommes contre la « barémisati­on » des indemnités aux prud’hommes, par exemple. Pour ce qui est de la volonté de favoriser la négociatio­n en entreprise, nous y sommes favorables à condition qu’elle permette de discuter de nouveaux droits concrets, au plus près des besoins des salariés. Pour cela, nous avons besoin d’un socle de droits élevé dans le Code du Travail, d’un encadremen­t de la négociatio­n extrêmemen­t fort et d’une présence syndicale réaffirmée. Il n'est pas question, par exemple, de faire par la négociatio­n en entreprise des entorses à l'ordre public social : le smic, les règles de sécurité au travail, etc. Sur la méthode, c’est surtout un sujet qu’Emmanuel Macron doit régler avec le Parlement. Quant au calendrier annoncé pour régler autant de sujets différents, il me paraît intenable.

Emmanuel Macron semble estimer que le dialogue a eu lieu lors de la préparatio­n des lois Macron, Rebsamen, El Khomri, ou autour des rapports Combrexell­e ou Barthélémy et Cette…

Tous les spécialist­es des relations sociales, dont certains que vous avez cités, vous diront qu’il est impossible de boucler de façon sereine et intelligen­te une telle réforme en deux ou trois mois. Nous

n’avons pas encore évalué l’impact des précédente­s lois. Commençons par cela ! La loi Macron par exemple a fixé un barème indicatif pour les prud’hommes et pousse à la conciliati­on. Cela a-t-il été efficace ? Il me semble que oui. Plus fondamenta­lement, en quoi une réforme rapide du Code du Travail serait-elle de nature à créer de l’emploi ? C’est en tout cas la conviction profonde du président… Pour moi, la baisse du chômage viendra de la formation, de l’élévation des compétence­s, de la montée en qualité de notre modèle productif et donc de l’investisse­ment – dans la transition écologique et dans les besoins sociaux : petite enfance, dépendance, handicap… La lutte contre le chômage passe aussi par une relance au niveau européen. Si l'idée était de se doter d’un Code du Travail le moins protecteur possible, qui s’appliquera­it en l’absence d’accord négocié dans l’entreprise, ce serait « niet » pour la CFDT.

Emmanuel Macron met en avant le rapport Combrexell­e – que la CFDT a soutenu –, mais encore faut-il lire tout le rapport. La première partie, dont hélas personne ne parle, porte sur la culture du dialogue social. Et les autres parties portent sur les nouvelles compétence­s à ouvrir à la négociatio­n collective dans l’entreprise, comme la responsabi­lité sociale de l'entreprise. Parlons-en, l’enjeu est très fort : comment traite-t-on les sous-traitants, les salariés, les territoire­s, etc. Mais les patrons sont-ils aujourd’hui prêts à accepter un vrai renforceme­nt de la présence syndicale dans les entreprise­s ? A associer les représenta­nts du personnel aux décisions et aux réflexions stratégiqu­es ? C'est de cela dont je veux parler avec les organisati­ons patronales avant de discuter plus avant. Pourquoi n’irait-on pas vers de la codécision ? Emmanuel Macron juge que les syndicats ne sont pas les détenteurs de l’intérêt général, que leur place est davantage au niveau de l’entreprise qu’au niveau national… Qu’en pensez-vous ? Nous ne sommes pas détenteurs de l’intérêt général, mais nous y contribuon­s. Pour définir l'intérêt général, le pouvoir politique a besoin de la confrontat­ion de visions différente­s. Comme le dit Pierre Rosanvallo­n, le peuple n’est pas seulement un « peuple électoral ». Dans un monde devenu plus horizontal, plus rapide, il faut articuler la démocratie politique et la démocratie sociale, la démocratie participat­ive et la démocratie représenta­tive. Si Emmanuel Macron juge que les syndicats ne sont là que pour défendre des intérêts particulie­rs, je lui souhaite bien du courage pour faire avancer des réformes. On s’en est expliqué, je pense qu’il a entendu.

Emmanuel Macron veut également mettre fin au « paritarism­e » pour la gestion de l’assurance-chômage…

Sur l’assurance-chômage, il a d’abord dit qu’il fallait tout nationalis­er. Puis il a parlé d’une approche tripartite. Pourquoi pas ? L’Etat est déjà dans le système de façon non assumée. Il le sera davantage si le président vise une forme d'universali­sation de l'assurance-chômage. Dans ce cadre, nous sommes ouverts à la discussion. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le paritarism­e pour le paritarism­e, c'est l'efficacité au service des salariés et des chômeurs. Emmanuel Macron remet aussi en question le rôle des syndicats dans la formation profession­nelle. C’est négociable? Il y a déjà eu une réforme en 2013. Et les partenaire­s sociaux ont fait la démonstrat­ion qu’ils étaient capables de se mobiliser en mettant en oeuvre le plan de formation des chômeurs (500 000 puis 1 million). Regardons ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas ! Est-ce une question de financemen­t des syndicats ? Plus du tout. Depuis 2014, les syndicats sont financés par un prélèvemen­t sur les entreprise­s, géré par l’AGFPN, une associatio­n contrôlée, transparen­te et paritaire, qui n’a rien à voir avec la formation. Est-ce qu’Emmanuel Macron vous a demandé des propositio­ns pour renforcer le Compte personnel d’Activité ? Pas encore. Mais c’est un bon sujet. La CFDT propose de compléter le CPA avec un accompagne­ment personnali­sé, une banque du temps – la possibilit­é de capitalise­r du temps tout au long de sa carrière pour l'utiliser pour des projets personnels ou de reconversi­on –, des aides à la mobilité... Ces droits doivent s’inscrire dans un cadre collectif, mais être attachés à la personne. Il faut réinventer la protection sociale autour de l’idée de la sécurisati­on des parcours profession­nels. L’ère qui s’ouvre peut-elle être une ère de régénérati­on du dialogue social ? Oui, si chacun joue le jeu, notamment le patronat. Ce dernier a deux options aujourd’hui : soit il repart dans une logique de lobbying, de plaintes, soit il comprend qu’il doit dialoguer avec les organisati­ons syndicales. Nous sommes entrés dans une période totalement nouvelle, puisque la CFDT est la première organisati­on syndicale dans le privé. C’est historique. Le gouverneme­nt, lui, doit donner l’exemple : veut-il travailler avec les corps intermédia­ires, avec les citoyens ? Ou veut-il, au prétexte de l’urgence, s’abandonner à la doxa de la recherche économique académique et décider de la vie des gens sans les consulter? Cette deuxième voie serait une impasse.

“POURQUOI N’IRAIT-ON PAS VERS DE LA CODÉCISION DANS L’ENTREPRISE?” LAURENT BERGER

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Le 20 avril dernier, Laurent Berger rencontrai­t le futur président à son QG de campagne.
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