Rien sur l’élection (3)
Où l’on voit des billets curieusement circuler
Sandra Milena, Colombienne de 28 ans, avait économisé en vue d’un beau voyage avec son mari. Pour parfaire la somme, elle avait même vendu des affaires du ménage et le tout se montait à 7 000 dollars, disent certaines sources, d’autres disent 9 000. Observons que la monnaie colombienne est le peso (colombien) et que si les économies avaient été transformées en billets de cent dollars américains, sans doute était-ce par manque de confiance en la solidité de l’économie nationale. Sandra Milena réservait sa confiance à son époux. En quoi elle avait tort, car voilà qu’elle découvrit que le gaillard lui était infidèle.
Des cris, des coups. La rupture est décidée. Il va falloir partager l’argent. « Jamais ! », décida-t-elle et, après avoir dérobé les 7000 (ou 9000) dollars à la vue de l’infidèle, elle entreprit de les faire disparaître en les mangeant. Madeleine Gide, découvrant que son mari, André, en voyage en Angleterre, était parti accompagné par le jeune Marc Allégret, relut en une nuit toutes les lettres qu’elle avait reçues de l’incorrigible pédéraste et, au petit jour, les avait fait disparaître par le feu. André Gide en resta inconsolable, persuadé que ces lettres étaient le meilleur de son oeuvre, mais ne nous égarons pas. Chez Sandra Milena, point de cheminée et c’est pourquoi, afin d’être certaine que les billets de cent dollars ne seraient pas découverts, elle les avala un à un. 7000 font 70 billets de cent dollars. 9000 en font 90. Une fois mangés, ne restait qu’à les digérer. Elle s’endormit contente.
Les économies d’un honnête ménage colombien ne se digèrent pas si facilement. Conduite en pleine nuit à l’hôpital, le chirurgien pensa d’abord que ce qu’il voyait à la radio dans l’estomac de la patiente était des sachets de drogue (colombienne), beaucoup de Colombiennes, utilisées par les trafiquants, en avalent pour une somme modeste, puis les restituent devant les destinataires. Examinant plus précisément, le chirurgien vit des billets de cent dollars. Il entreprit d’en soulager la patiente. Ainsi en sauva-t-il 57. Il suffit ensuite d’en prendre soin tant qu’ils furent humides, une fois secs de les repasser soigneusement. Les autres s’en étaient allés dans les intestins, adieu-vat et on ne les revit plus.
Le mari de Sandra Milena est plus chanceux que ne le fut Gide. Elle ne voulait pas partager les 7000 dollars (ou 9000)? Elle devra partager les 5700 rescapés. Heureuse encore s’il n’obtient pas d’un juge sa part des dollars perdus. Auquel cas, il ne restera pas grand-chose à l’épouse bafouée. Vous la trouvez morale, cette histoire ?
Une histoire certainement pas morale, c’est celle de la grande roue, de 70 mètres de hauteur, qu’un forain dresse depuis des années, pendant des mois et des mois, à l’extrémité du jardin des Tuileries, à Paris, sur la place de la Concorde, dans l’axe du Carrousel du Louvre et de l’Arc de Triomphe des Champs-Elysées. Elle doit être démontée cette semaine mais elle nous est encore promise pour revenir après l’été. Comment l’hôtel de ville peut-il concéder à un commerçant l’intrusion de pareil engin dans une perspective patrimoniale aussi respectable? Pourquoi pas, alors, dans le même style, un grand-huit et des autos-tampons au Louvre pour animer la Cour carrée ? Lorsqu’on a lu, dans l’excellent « la Grande Arche », de Laurence Cossé (Gallimard, 2016), les scrupules du président Mitterrand choisissant une arche pour son vide qui n’obstruerait pas la perspective depuis l’Etoile, on est stupéfait, et suspicieux, devant un telle licence de la part d’édiles qui se réclament de son héritage. D. D. T. Post-scriptum qui n’a rien à voir. Un grand album de Pétillon, chez Dargaud, « Un certain climat », dix ans de dessins d’actualité au « Canard enchaîné ». Vous riez déjà ? C’est pas moral non plus.