L'Obs

Fitzgerald le magnifique

JE ME TUERAIS POUR VOUS ET AUTRES NOUVELLES INÉDITES, PAR FRANCIS SCOTT FITZGERALD, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR MARC AMFREVILLE, GRASSET/FAYARD, 480 P., 23 EUROS.

- DIDIER JACOB

Toujours beaucoup d’étoiles dans les ciels de Fitzgerald. Mais aussi dans les yeux des filles, peut-être parce qu’elles cherchent l’amour et qu’elles s’en servent comme d’une torche pour scruter l’âme des garçons. Atlanta Downs, jeune première dont le regard brille d’une lueur étrange, tourne un film quand elle croise un bourreau des coeurs du nom de Delannux. Rien à craindre en ce qui me concerne, se dit Atlanta. Elle oublie que, héroïne d’une nouvelle de Fitzgerald, elle a tout à craindre au contraire. D’aimer, par exemple, sans susciter la passion en retour. Chez Fitzgerald, on n’est jamais loin de sombrer dans la torpeur des passions contrariée­s. Du moins n’abandonne-t-on jamais la mission qui vous a été confiée : éclairer le monde, avec des mégawatts produits de manière écolo : « Il était bon de penser qu’Atlanta, qui illuminait telle une étoile la vie de tant de gens, dormait paisibleme­nt dans sa chambre à cent mètres de là. »

Comme Faulkner, Fitzgerald est venu à la nouvelle non par amour du genre, mais parce qu’il lui fallait gagner sa vie. Comme Faulkner, il bataillera toute son existence pour tirer le meilleur prix de ses histoires qu’il envoyait aux grands magazines de l’époque. C’était moins humiliant que d’aller travailler à Hollywood, une idiotie qu’il commit cependant. Comme Faulkner, lequel avait cette force de caractère sudiste, terrienne, mystique qui l’aidera à surmonter l’épreuve du séjour dans la cité des anges. Fitzgerald n’avait pas cette armure. Il avait le coeur féminin, comme le confirme ce recueil de dix-huit textes inédits, récemment retrouvés, et dont la parution est une aubaine. Lorsqu’il écrit ces nouvelles, il est déjà au faîte de la légende. Mais le temps de « Gatsby » a cédé la place à celui de la crise économique. Quand on attend de lui qu’il raconte de grands chagrins sur fond de ciels nocturnes où les étoiles filantes font du karting, Fitzgerald ne songe qu’à la dépression de sa femme Zelda, et à l’autre, la grande, celle de l’Amérique. Et s’il décrit un couple de jeunes mariés, Mary et Sam, dans la nouvelle intitulée « Congé d’amour », c’est pour en arriver à cette sombre constatati­on : « Une femme a besoin d’un lieu où se réfugier en elle-même, un peu comme un homme a besoin de son ambition. » Tiens, justement, le couple passe la soirée dans un chalet, en Virginie. Mary porte une ceinture en argent avec des étoiles découpées dans le métal. Signe des temps : c’est ici qu’elles brillent, dans la pièce où leur reflet sautille, tandis que les autres, les vraies, ont pour toujours disparu des ciels de Fitzgerald.

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Francis Scott Fitzgerald en 1925.

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