Moi, Garbo
GARBO, PAR GUILLAUME DE FONCLARE, STOCK, 230 P., 18,50 EUROS.
Sept ans après « Dans ma peau », voici « Dans sa peau ». C’est la première fois, en effet, que l’Amiénois Guillaume de Fonclare se libère de son terrible carcan de fer et, tel un serpent, abandonne son exuvie sur un chemin de la Somme pour se transformer en espion rampant et trépidant. Atteint d’une incurable maladie neuromusculaire, proche de la myopathie, qui le condamne à l’invalidité, l’écrivain empêché voyage ici de l’Espagne à la Grande-Bretagne et du Portugal au Venezuela. Grâce soit donc rendue à la littérature, Guillaume le conquérant ne tient désormais plus en place. C’est qu’il est devenu Garbo. Pas la Divine, mais l’agent double qui oeuvra, durant la Seconde Guerre mondiale, à la victoire des Alliés.
Né à Barcelone, Juan Pujol Garcia gagna, à la fin de 1941, le Royaume-Uni, où il feignit très bien d’espionner pour le compte des nazis, sous le nom d’Alaric Arabel, alors qu’il travaillait, en sous-main, pour le MI5. Il fut ainsi l’un des artisans de l’opération de désinformation Fortitude : il s’agissait de laisser accroire aux Allemands que le débarquement n’aurait pas lieu en Normandie, mais dans le Pasde-Calais, en constituant, sur le sol anglais, des unités fantômes de chars gonflables, de navires en contreplaqué et d’avions de balsa. Une formidable mystification, qui ressemble à la vie trompeuse de Garbo, cet Espagnol aux multiples identités contraint, à la Libération, pour échapper aux représailles des anciens nazis, de disparaître au Venezuela, où il ouvrit une petite librairie. Fasciné par le destin de ce héros, Guillaume de Fonclare a écrit, à la première personne, le témoignage que, avant de s’éteindre, en 1988, Juan Pujol Garcia aurait pu laisser à son petit-fils, Jorge : « Tu es celui qui me comprendra le mieux. » Il lui raconte son enfance catalane et sa jeunesse insoucieuse – il aspirait à devenir aviculteur – jusqu’au déclenchement de la guerre civile, où, par calcul, il rejoignit les nationalistes de l’armée franquiste. Un choix, bientôt couronné d’une médaille, qu’il devait regretter tout au long de sa vie et qu’il expia, d’une certaine manière, en se vendant aux Allemands pour mieux servir les Alliés. Il excella si bien dans l’art de la dichotomie et de l’ubiquité qu’il fut décoré, en même temps, de l’ordre de l’Empire britannique à Londres et de la Croix de fer à Berlin. Après quoi, Garbo organisa, en 1945, sa mort fictive. Le récit qu’on lit est donc le testament apocryphe d’un ressuscité, rédigé par un miraculé, lui-même bardé de noms d’emprunt. On salue et le geste, et le trompe-l’oeil.