L'Obs

Desplechin ouvre Cannes

LES FANTÔMES D’ISMAËL, PAR ARNAUD DESPLECHIN. DRAME FRANÇAIS, AVEC MATHIEU AMALRIC, MARION COTILLARD, CHARLOTTE GAINSBOURG, LOUIS GARREL, LÁSZLÓ SZABÓ (1H50).

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« Je n’ai pas envie de me survivre », lâche Ismaël Vuillard (Mathieu Amalric) lors d’un de ses fréquents accès d’angoisse. Cri du coeur d’un artiste dont l’existence se mêle tellement à ses fictions qu’il craint de ne pouvoir en sortir. Ismaël est cinéaste. Il s’apprête à tourner un thriller d’espionnage sur un agent double un peu simplet, Paul Dédalus (Louis Garrel), inspiré de son frère – il faudra un jour interroger le rapport de Desplechin au film d’espionnage, genre qu’il survole depuis « la Sentinelle » sans jamais s’y coller vraiment. Pour terminer l’écriture de son script, Ismaël s’isole sur l’île de Noirmoutie­r avec Sylvia (Charlotte Gainsbourg), qui partage sa vie. Là resurgit Carlotta (Marion Cotillard), son épouse et amour de jeunesse, qu’il croyait morte depuis neuf ans. Carlotta (comme dans « Sueurs froides ») se nomme Bloom (comme chez James Joyce) et se décrit en ces mots : « Juive, renégate, le désespoir de [son] père », un vieux cinéaste ashkénaze, mentor d’Ismaël, qui court après les disparus à travers les images qu’il en reste (László Szabó dans le rôle de Claude Lanzmann). Vivants ou morts, réels ou imaginaire­s, les fantômes d’Ismaël sont ceux d’Arnaud Desplechin, qui met en scène son alter ego Amalric/ Vuillard dans un grand mashup hitchcocko-bergmanotr­uffaldien. A-t-on déjà connu le réalisateu­r de « Rois et reine » aussi joueur et radical que dans ce film foisonnant qui déconcerte par ses ruptures de ton et de rythme, plus abruptes que jamais ? S’y entremêlen­t, sans logique apparente, l’histoire d’Ismaël et celle du film qu’il écrit. Le cinéma qu’il fait et le cinéma qu’il se fait.

La vie, chez Vuillard/Desplechin, est plus folle que la fiction. Tout y est déformé, passé au filtre de ses doutes, ses sautes d’humeur, son goût pour la psychanaly­se et le romanesque. Un couple, parce qu’il se sépare, soudain se vouvoie ; un metteur en scène tire sur son producteur avec un pistolet factice et le blesse pour de bon ; on se parle faux par moments, voire même avec la voix d’une autre. « It ain’t me, babe » (« Ce n’est pas moi, bébé »), chante Bob Dylan lorsque Carlotta/Cotillard danse et revit sous l’oeil témoin de Sylvia/Gainsbourg sur l’île de Fårö… pardon, Noirmoutie­r. Il manque des scènes, une respiratio­n à ce film cyclothymi­que, trop décousu et ramassé pour posséder l’ampleur à laquelle il aspire. Est-ce un hasard ? Cette version, présentée en ouverture du Festival de Cannes, n’est pas la seule. Il en existe une autre, plus longue d’une vingtaine de minutes, voulue par Desplechin et exploitée en exclusivit­é au Cinéma du Panthéon, à Paris, tenu par son producteur Pascal Caucheteux.

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Marion Cotillard et Mathieu Amalric.

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