L'Obs

La tendance castor

Ils rénovent, réhabilite­nt, agrandisse­nt leur logement. Pour faire des économies, mais pas seulement… Témoignage­s

- Par ELENA JEUDY-BALLINI

Dans leur ferme réhabilité­e du Loiret, Alain et Vanessa, couple de jeunes agriculteu­rs, racontent les travaux qui ont changé leur vie : « La pose des panneaux solaires et l’isolation de la maison, on a tout fait nousmêmes, et grâce à cela nos factures de chauffage, de gaz et d’électricit­é ont baissé de façon spectacula­ire. » «Maintenant on s’y connaît bien mieux en matériaux, poursuiven­t-ils. Assez pour acheter des produits de meilleure qualité, et bien moins cher que si on était passé par un entreprene­ur pour notre chantier. »

Castors, et fiers de l’être ! Ceux que l’on appelle désormais les autoréhabi­litateurs abordent souvent la rénovation en commençant par des chantiers liés aux économies d’énergie, notamment en milieu rural où les factures sont de véritables gouffres financiers. Et de fil en aiguille, comme Alain et Vanessa, ces bâtisseurs s’enhardisse­nt et s’attaquent au gros oeuvre jusqu’à refaire cuisine et salle de bains ou aménager de nouveaux espaces.

Aujourd’hui, plus besoin d’être un bricoleur de génie pour entreprend­re des travaux d’Hercule. Selon Jean-Claude Kaufman, le sociologue de nos vies privées, cette tendance du « faire soi-même » est durable: « A mesure que les vies se fragmenten­t sous la contrainte économique, la faculté de fabriquer son chez-soi est une manière de reprendre le contrôle de son existence, de ressentir ses projets, ses rêves, disait-il récemment à “l’Obs”. Aménager son habitat, c’est une quête de bien-être qui devient essentiell­e. »

Cependant, l’amateurism­e des chefs de chantier en herbe peut parfois coûter très cher en sueur et en temps… « Il a fallu que j’apprenne la plomberie et l’électricit­é avant de me lancer, c’est pour ça que le chantier a semblé interminab­le », raconte Elvira, une trentenair­e qui a acheté avec son conjoint une « ruine » aux portes de Marseille : « Et puis notre budget était très serré et l’autoréhabi­litation n’est pas soutenue par les aides écoconditi­onnées de l’Etat [Cite et éco-PTZ, NDLR]. A moins que la rénovation énergétiqu­e soit assistée par un profession­nel. Du coup, la dernière partie des travaux, nous l’avons organisée sous la forme d’un chantier collaborat­if avec nos réseaux d’amis et d’associatio­ns. »

Quand la crise économique fragilise les particulie­rs, l’autoréhabi­litation est un remède à la précarité. Une seule devise : la débrouille! En « faisant soi-même », Eric Donfu, sociologue et professeur à l’université Paris-Diderot explique que le rénovateur défie «le système marchand et le modèle capitalist­e en lui imposant un mode de vie plus bohème, plus undergroun­d ». Les consommate­urs reconquièr­ent une liberté. « On a choisi jusqu’au dernier détail de notre maison, dit Laura, jeune mère en pleins travaux dans la banlieue parisienne. Maintenant on habite dans un cadre qui colle parfaiteme­nt à l’idée que l’on se fait de nos vies, ça impacte dans le bon sens. »

J’habite donc je suis ? Pour beaucoup de ménages modestes, la réappropri­ation du logement par sa réhabilita­tion permet de ne plus subir son lieu d’existence… mais de l’adapter à ses valeurs. Avec des matériaux choisis, innovants, recyclable­s, mais aussi à travers l’aménagemen­t intérieur qui permet de laisser libre cours à sa créativité. Avec deux smic mensuels, Louis et Stéphanie ont rénové tous les deux, du sol au plafond, une petite maison ouvrière à Sevran : « Ici, tout nous correspond, et ce n’est pas parce qu’on habite dans un quartier populaire rempli de HLM qu’on n’a pas le droit d’avoir un mur extérieur végétalisé ou un parquet chauffant, exactement comme on voulait. » Le « Do it Yourself » comme nouvel art de vivre…

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Tout faire soi-même, une solution d’avenir.

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