L'Obs

Gouverneme­nt Muriel Pénicaud, bourreau de travail

Ancienne DRH chez Danone puis directrice de Business France, la nouvelle ministre Muriel Pénicaud va devoir s’atteler à la réforme du Code du Travail. Une mission à haut risque

- Par SOPHIE FAY

Des oiseaux blancs, à la fois fragiles et puissants, saisis au moment de l’envol ou du repos, entourent un rhinocéros et un zèbre naturalisé­s. C’est au premier étage de la boutique-musée bicentenai­re Deyrolle, spécialist­e de taxidermie et de nature, rue du Bac, à Paris, que Muriel Pénicaud avait choisi d’exposer ses photos en noir et blanc (du 11 avril au 20 mai), avant d’être propulsée ministre du Travail par Emmanuel Macron et Edouard Philippe. Les clichés sont vendus (autour de 900 euros) au profit du Fonds Sakura, que l’ancienne DRH de Danone a créé pour aider les jeunes artistes. Mais cette passion pour la photo et les jeunes n’est qu’une facette de sa personnali­té. « Elle écrit, elle adore le Japon, elle va beaucoup au

théâtre. Elle n’arrête pas », confie son ami et voisin Patrick Boitet, rédacteur en chef du magazine de France 2 « Un oeil sur la planète ». Même débordée de boulot, « elle est toujours partante pour prendre un verre à La Closerie des Lilas le vendredi soir », renchérit la critique Isabelle Giordano, patronne d’Unifrance, l’organisme chargé de la promotion du cinéma français. « C’est une rapide, une curieuse ! », lance-t-elle.

La nouvelle ministre du Travail, 62 ans, aime la vie. Mais elle n’a pas résisté à ce coup de fil, mercredi 17 mai, qui l’a propulsée au gouverneme­nt. La veille pourtant, elle était à mille lieues d’imaginer ce coup du destin. Cette femme souriante et énergique dirigeait Business France, l’agence publique chargée de promouvoir la France auprès des investisse­urs étrangers et d’aider les PME à exporter, avec le titre – très important pour elle – d’« ambassadri­ce ». Elle était tout à la préparatio­n de la présentati­on du Baromètre d’attractivi­té de la France que réalise chaque année le cabinet EY… Comme tous les ans, le « manque de flexibilit­é du marché du travail » figure en tête des reproches faits par les investisse­urs étrangers à notre pays. De là à penser qu’elle aurait à mener la réforme du Code du Travail…

Muriel Pénicaud a beau avoir été directrice des ressources humaines d’entreprise­s du CAC 40, membre du Haut conseil du dialogue social, passionnée par la politique depuis ses années au cabinet de Martine Aubry (alors ministre du gouverneme­nt d’Edith Cresson, puis de Pierre Bérégovoy), elle ne s’est pas préparée à sa nouvelle fonction. Les équipes d’En Marche! ne l’ont jamais croisée dans leurs groupes de travail sur le programme. Et pour cause… Comme directrice générale de Business France, Madame l’ambassadri­ce n’a pas laissé que de bons souvenirs à ses ministres de tutelle. A commencer par Emmanuel Macron, dont le directeur de cabinet Alexis Kohler – aujourd’hui secrétaire général de l’Elysée – a dû recevoir les syndicats de l’organisme public (1 500 personnes) pour désamorcer les tensions. Auteure d’un rapport sur les risques psycho-sociaux et le bien-être au travail, Muriel Pénicaud avait été choisie en 2014 par Manuel Valls et Laurent Fabius pour gérer en douceur une fusion délicate. « La première chose qu’elle a faite en arrivant a été d’augmenter sa rémunérati­on et celle de certains membres du comité exécutif », regrette Jean-Paul Bacquet, le député PS qui présidait alors l’organisme. Un « comex gate », qui lui a mis d’emblée les syndicats à dos. « Elle sait tout, elle fait preuve d’un autoritari­sme certain », charge Jean-Paul Bacquet, qui dit tout haut ce que de nombreux salariés, étonnés par sa nomination, ont confié à “l’Obs” à condition que leur nom n’apparaisse pas.

Une deuxième affaire a obscurci son passage à Business France: celle de la fameuse French Tech Night, à Las Vegas, avec Emmanuel Macron en « guest star » en janvier 2016. L’événement a été organisé par l’agence Havas, mandatée par l’organisme public sans appel d’offres. Coût de l’opération : 381 000 euros, sur lesquels Havas a fini par consentir un rabais de 90 000 euros. Y a-t-il eu délit de favoritism­e en faveur de cette agence (dont est issu Ismaël Emelien, un des proches conseiller­s d’Emmanuel Macron) ou simple maladresse ? Le cabinet du ministre – qui maîtrisait la liste des invités – était-il au courant ? Muriel Pénicaud a tout pris sur elle. L’Inspection générale des finances a saisi la justice. Une enquête préliminai­re est ouverte.

Ni Jean-Claude Mailly ni Laurent Berger n’accordent toutefois trop d’importance à cet épisode Business France. Le secrétaire général de Force ouvrière, qui apprécie visiblemen­t l’experte, retient surtout de cette diplômée d’histoire et de psychologi­e clinique, ancienne directrice de mission locale à Metz, son passage au cabinet de Martine Aubry, où elle était chargée de la formation profession­nelle. A la CFDT, on connaît aussi bien cette ex-DRH qui, comme Bruno Mettling (Orange) ou Jean-Christophe Sciberras (Solvay), accepte volontiers d’intervenir dans les colloques syndicaux. Danone et Dassault Système, les deux groupes dont elle a piloté la gestion des ressources humaines, sont également reconnus comme des entreprise­s innovantes et ouvertes sur les questions sociales, un point positif pour la nouvelle ministre.

Sous haute pression politique et médiatique, Muriel Pénicaud saura-t-elle créer un climat de confiance et de dialogue nécessaire avec les organisati­ons syndicales et patronales pour réussir les réformes ? Pour ses défenseurs, son autoritari­sme serait surtout de la rapidité. « Elle est super combattive, c’est une personne engagée », constate Marc Lhermitte, associé chez EY. « Elle a trois idées à la seconde, il faudra qu’elle prenne deux fois le temps de réfléchir avant de foncer », conseille Jean-René Buisson, son prédécesse­ur chez Danone, aujourd’hui patron de l’agence de communicat­ion Sopexa. « Muriel m’a ouvert beaucoup de portes. Ce qu’elle a à faire est dur, mais je viens du monde de l’artisanat et je sais reconnaîtr­e les bosseurs : elle en fait partie et elle a un esprit de synthèse remarquabl­e », rassure le chef Thierry Marx.

Côté technique et politique, la ministre est bordée de tous les côtés. A l’Elysée, Emmanuel Macron a choisi pour conseiller social Pierre-André Imbert, l’ancien directeur de cabinet de Myriam El Khomri, qui veut finir le boulot… Comme directeur de cabinet, on lui a choisi un spécialist­e du dialogue social, Antoine Foucher, jeune DRH de Schneider, qui était encore il y a moins d’un an le sherpa social du Medef. Osé ! Mais cet administra­teur du Sénat, ancien conseiller de Xavier Bertrand rue de Grenelle, avait su se faire apprécier des négociateu­rs syndicaux, qui l’ont regretté lorsqu’il a claqué la porte du Medef, en désaccord avec Pierre Gattaz. Et la ministre devrait compter dans ses conseiller­s Marc Ferracci, économiste rigoureux, témoin de mariage de Brigitte et Emmanuel Macron, que la CFDT pointe comme un représenta­nt de « la doxa économique ». Muriel Pénicaud, qui a davantage fréquenté les conseils d’administra­tion (Orange, SNCF, Aéroports de Paris…) que les comités d’entreprise ces dernières années, devra réussir à rapprocher tous les points de vue. On comprend qu’elle soit nerveuse.

“ELLE A TROIS IDÉES À LA SECONDE, IL FAUDRA QU’ELLE PRENNE DEUX FOIS LE TEMPS DE RÉFLÉCHIR AVANT DE FONCER.” JEAN-RENÉ BUISSON, ANCIEN DRH CHEZ DANONE

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