Spécial montagne en été Les escapades de « l’Obs »
Proust célébra le nom de ce petit village de poupée qui sépare les lacs de Silvaplana et de Sils. Nietzsche le rendit célèbre, aimanté par la beauté du paysage helvète. L’hôtel Waldhaus inscrit le site dans la légende
Quand Nietzsche eut la révélation de l’éternel retour à Sils-Maria, l’hôtel Waldhaus n’existait pas encore. Pourtant, ce palace des cimes de l’Engadine doit en partie son succès au philosophe allemand. Ses écrits célèbrent les vertus inspirantes de ce petit village de la Suisse romanche, où intellectuels et artistes n’ont cessé de défiler, choisissant, à partir de 1908, le fameux Waldhaus pour les accueillir. Ainsi le palace dispose-t-il d’une liste d’hôtes éblouissante: Marcel Proust, Marc Chagall, Albert Einstein, Thomas Mann, François Mauriac, Alberto Moravia, Richard Strauss, Luchino Visconti, Jean Cocteau, Claude Chabrol… Proust y rédigea un délicieux poème en prose. Thomas Mann, que les pensionnaires du Waldhaus décrivaient volontiers comme un être austère, voire désagréable, déclarait à propos de cet hôtel : « Je ne parle pas facilement du bonheur mais je suis presque convaincu qu’ici, je suis heureux. » Claude Chabrol y posa sa caméra pour tourner « Rien ne va plus », et Olivier Assayas, plus récemment, en fit de même pour le film « Sils Maria ». Le commun des mortels pourra y déposer ses valises afin de profiter de l’aura littéraire de ce lieu inspirant.
Ici, toutes les modifications apportées au décor depuis la création du palace se sont faites par touches si discrètes et réfléchies que les lieux conservent un charme intemporel. Mais intemporel ne veut pas dire figé. Et pour tenir son rang, un tel établissement ne peut qu’épouser la modernité. Un palace se doit d’avoir un spa au xxie siècle ? Le Waldhaus s’en est doté d’un. Sur mesure et à son image, soutenant ce pari de combiner l’ultracontemporain avec une certaine idée de l’éternité, ce spa a été installé dans de discrets cubes en béton, adroitement intégrés à l’hôtel et à son environnement. Sertis dans un écrin en pâte de verre, sauna, frigidarium, lit de pierres chaudes et bain de vapeur y dessinent un vaste circuit bien-être de 1 400 mètres carrés, pourvu d’une piscine avec vue et de cabines de soin aussi sobres qu’élégantes. Sans ostentation, mais d’un goût parfait, ces bains ont été inaugurés l’hiver dernier.
VISITER LA PENSION DE NIETZSCHE
A Sils-Maria, la tentation est grande de ne pas quitter les murs du Waldhaus quand on a la chance d’y séjourner, tant il est agréable de naviguer de sa chambre à la salle d’écriture, en profitant de temps à autre d’un petit concert au salon, sans manquer aucun des délicieux dîners dans sa salle à manger. Et pourtant, à quelques centaines de mètres de là, l’ancienne pension de Nietzsche, la maison Durisch, appelle à une visite émouvante, en forme d’introduction à l’oeuvre de ce grand homme qui sut si bien penser notre époque. C’est ici que de 1881 à 1888, dans une petite chambre conservée en l’état, il séjourna et travailla, écrivit « Ainsi parlait Zarathoustra », « Par-delà le bien et le mal », « Généalogie de la morale » et « l’Antéchrist ». Devenu musée, mais aussi centre de recherches autour du philosophe, ce lieu continue d’inviter ses visiteurs à remettre en question les vérités établies.
PAYSAGES D’ENGADINE
Se promener, contempler… La splendeur de la nature environnante suffit à rendre le séjour inoubliable. « J’accepte cette découverte comme un cadeau inattendu et immérité », écrivait Nietzsche à son sujet dans une lettre de 1881. Dans une autre, il détaille les larmes et les exclamations de joie que lui arrachèrent les paysages de la vallée de Fex voisine. Interdite aux voitures, mais parcourue de calèches que l’on peut louer, elle offre des randonnées très accessibles. On y découvre la flore des Hautes-Alpes que se plut à dépeindre Rilke. Proust, quant à lui, donna une description extraordinaire de la danse d’amour des papillons au-dessus du lac de Sils. Assayas fit du serpent de Maloja (le célèbre phénomène nuageux qui envahit la vallée de Sils tel un dragon blanc) un personnage à part entière de son film. Autant de spectacles naturels aussi miraculeusement conservés que l’ambiance xixe siècle du Waldhaus.