L'Obs

Collection Dior 2018 : A l’Ouest, le renouveau

La nouvelle directrice de Dior, Maria Grazia Chiuri, a frappé fort avec son premier défilé croisière organisé à Los Angeles. Un pur esprit bohème mâtiné d’ultraluxe

- Par SÉVERINE DE SMET

Elles étaient noyées dans le flot incessant des freeways tentaculai­res de Los Angeles. Les Cadillac Escalade se fondaient dans le trafic, plus habitué aux énormes SUV à l’allure menaçante. Mais sur cette route caillouteu­se et sinueuse d’une colline de L.A., à l’écart du bitume, elles apparaisse­nt comme des petites fourmis gravissant un talus. A la queue leu leu, les voitures noires rejoignent en cortège la réserve naturelle d’Upper Las Virgenes Canyon, au-dessus de Malibu. Un site magnifique, coupé de la mégalopole, où les hautes herbes jaunes règnent et cachent la faune des zones désertique­s. C’est une faune d’un autre genre qu’amène le convoi : clients, stars, monde de la mode, business(wo)men… invités par la maison Dior, qui a décidé de faire de la présentati­on de sa collection croisière 2018 l’événement le plus cool du moment, mêlant ambiance bohème et codes so californie­ns. Au point de faire presque oublier la débauche de moyens, le luxe des petits détails, la production digne d’un blockbuste­r de cinéma. Les meilleurs hôtels de la ville accueillen­t les quelque 750 invités venus par avion, des centaines de voitures ont été affrétées, des tentes ont été montées sur les collines, tandis que deux montgolfiè­res attendent sagement un envol qui ne viendra pas… Dans les voitures, à la fin du défilé, on murmure un nombre à cinq chiffres pour estimer le coût du défilé par « tête ». On n’en saura pas plus, ce serait impoli. Car, pour Dior, rien n’est trop beau pour voyager. Pour son premier défilé croisière, Maria Grazia Chiuri, la directrice artistique récemment nommée à la tête de la maison, a trouvé les points communs entre la tradition de la griffe créée par Christian Dior il y a soixante-dix ans (qui fera l’objet d’une expo au Musée des Arts décoratifs à Paris, lire p. 109) et la modernité d’un Nouveau Monde où Instagram est un temple d’adoration, et Hollywood, le mont Olympe. Clin d’oeil d’ailleurs aux grosses lettres blanches situées à quelques kilomètres de là, un Dior Sauvage en capitales orne le site du défilé.

Monsieur Dior lui-même connaissai­t bien cette Californie aux allures de Riviera méditerran­éenne: il la découvrit en 1947, y revint en 1957 pour faire défiler sa haute couture et présenter une collection de maillots de bain. A l’époque, on parlait du glamour des stars mythiques. En 2017, l’esprit est un peu différent, les temps ont changé. En guise de red carpet, la Cruise de Dior accueille ses invités sur des tapis de jute beige, les fait asseoir sur des coussins à quelques centimètre­s du sol. Ils ont eu pour consigne de laisser les talons au placard et d’opter pour des chaussures fermées, afin d’éviter le drame d’une morsure de serpent. Mais les reptiles sont restés cachés, témoins d’un inhabituel spectacle.

Les mannequins, gros godillots aux pieds, défilent dans la caillasse, et les jupons longs traînent dans la poussière du désert. Chic. Les peintures rupestres de la grotte de Lascaux, déjà évoquées par Christian Dior en 1951, reviennent ici sur des robes et des cabans. Les filles portent des chapeaux de gauchos ornementés de turquoises ou de motifs archaïques. Les fourrures ultratrava­illées retrouvent une allure préhistori­que et fonctionne­lle, loin du gadget coloré. Là, une robe en crochet aux couleurs jamaïcaine­s, ici, une robe longue d’un parfait carmin. Les sangles des sacs reprennent les dessins des couverture­s mexicaines. On invoque les puissances chamanique­s sur des jupes brodées. Le denim est brut, la soie ou la dentelle frôlent le sol comme à l’époque des premiers colons arrivant dans l’Ouest. Hypnotique, alors qu’un groupe de percussion­nistes joue une musique lancinante. Plus tard, ce sera la chanteuse Solange Knowles, soeur de Beyoncé, qui interpréte­ra sa soul détendue sous la tente.

Alors que nous ne sommes pas loin de Calabasas, les terres des soeurs Kardashian et autres, les célébrités conviées reflètent une certaine idée du chic. Rihanna, incarnatio­n du cool, arrive en fourrure et Doc Martens, Johnny Hallyday est là en voisin, Charlize Theron joue l’égérie. On retrouve aussi Kiernan Shipka, la jeune actrice de la série « Mad Men », la comédienne oscarisée Brie Larson, la Française Julie Delpy, ou encore l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, auteur d’« Americanah » et de « Nous sommes tous des féministes », dont la version « We Should All Be Feminists » a orné les tee-shirts de la première collection de Maria Grazia Chiuri. Celle-ci s’est inspirée de l’artiste Georgia O’Keeffe, considérée comme la mère du modernisme américain, connue pour ses fleurs sensuelles et ses paysages du Nouveau-Mexique. La créatrice italienne cite aussi Clarissa Pinkola Estés et son livre « Femmes qui courent avec les loups », ou encore l’écrivaine Vicki Noble, passée par Berkeley, et son féminisme chamanique, en réinterpré­tant les couleurs pop des cartes de tarot, chères aussi à Monsieur Dior. Alors que le soleil a décliné, le lieu du défilé a pris des airs de camp de repos entre deux expédition­s. On se réchauffe auprès d’un feu, on sirote un jus vert sur les coussins… On grignote ce qui vient d’être préparé dans des caravanes d’acier gris: burgers, hot dogs, ice-creams, tacos, dans une version végétarien­ne no gluten… C’était « Out of Africa » dans les plaines de l’Ouest. Des 4x4 tape-culs ramènent les invités aux grosses voitures climatisée­s.

La veille, Dior avait organisé un dîner dans un restaurant de Malibu au bord du Pacifique. De grandes tablées, des banquettes façon diner américain, des babyfoot et du ping-pong pour s’occuper. Et, le lendemain du show, les Cadillac Escalade rejoindrai­ent un ranch à l’agricultur­e bio où les modeuses allaient donner à manger aux animaux. Voilà le retour aux origines, aux sources, prôné par Maria Grazia Chiuri, et ce, soixante-dix ans après la naissance de la maison Dior. La simplicité du luxe, le chic du voyageur, l’allure esprit colon… Pour elle, il y a encore de nouvelles exploratri­ces.

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FINAL DU DÉFILÉ, AU COUCHER DU SOLEIL, QUI A MÊLÉ AMBIANCE BOHÈME ET CODES CALIFORNIE­NS .
 ??  ?? LES PEINTURES DE LASCAUX, DÉJÀ ÉVOQUÉES PAR DIOR EN 1951, REVIENNENT ICI SUR DES ROBES ET DES CABANS.
LES PEINTURES DE LASCAUX, DÉJÀ ÉVOQUÉES PAR DIOR EN 1951, REVIENNENT ICI SUR DES ROBES ET DES CABANS.

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