La mode pour tous par Sophie Fontanel
La veste que vous voyez ci-dessus provient du traditionnel défilé croisière de Vuitton, qui avait lieu à Kyoto le 15 mai. Les défilés de Nicolas Ghesquière sont intéressants : ils sont, ont toujours été, une novlangue. Personne ne parle comme cet homme, et d’ailleurs certains disent que, parfois, lui seul et sa bande arrivent à se comprendre. La mode aujourd’hui est un vaste (et prodigieux) karaoké : on reprend (génialement) des refrains connus, et ils ambiancent toute la salle. Nicolas Ghesquière, lui, ne fait pas ça. Il reste « prise de tête ». C’est assez courageux, car ce qui fonctionne le mieux en ce moment, ce sont des choses dont on peut sans grand effort deviner la source, des choses lisibles se passant de commentaires tellement elles sont juste « cool ». Le travail de Nicolas n’est pas définissable par le mot « cool ». Il peut même être cold, si on va chercher par là. Et c’est ça qui est beau. Voire sublime. A Kyoto, au Musée Miho, dans un décor de rêve, on avait beau tous être au premier rang, on voyait mal. Parce que comprendre Nicolas demande du temps, en tout cas plus de douze minutes. Un défilé terminé, il faudrait le revoir. Le relire. Comme certains poèmes très techniques. Par exemple, la veste que vous voyez ici en photo, c’est en y repensant après coup qu’elle m’a semblé venir des kimonos japonais. Le rôle déterminant du blanc dans l’histoire, l’obsession aussi qu’on peut nourrir pour une ceinture large de kimono, ce que les rayures apportent parfois à ces tenues traditionnelles, l’importance du col, la netteté maniaque de tout ça. Et vous savez la meilleure ? Si ça se trouve, Nicolas Ghesquière ne pensait pas du tout à un kimono en créant cette veste. Si ça se trouve, je rêve le sens de cette veste. Ce qui me permet de vous rappeler ici que les vêtements ne sont que des projections de notre imagination. On s’en fiche des réelles inspirations. C’est bon pour les dossiers de presse, ça. Un habit n’est beau que si on peut le remplir de ce qu’on est.