L'Obs

Passé/présent Le choc des deux Corées

La péninsule est coupée en deux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, les tensions culminent

- Par FRANÇOIS REYNAERT

D’un côté, à la tête d’un Etat petit mais aux grandes capacités de nuisance, un Docteur Folamour qui menace la planète de bombardeme­nts nucléaires. De l’autre, au sommet de la première puissance mondiale, un président aussi facile à suivre qu’un chien fou. Pour compléter la distributi­on, une Chine en embuscade et un Japon qui rêve de jouer sa partie. De nombreux experts en géopolitiq­ue prédisent que la grande guerre du xxie siècle aura lieu en Asie. On ne s’avance guère en affirmant que, dans le scénario qui conduira à cette apocalypse, la Corée tiendra une place de choix. De gesticulat­ions militaires en rebondisse- ments diplomatiq­ues, la petite péninsule extrêmeasi­atique ne cesse de jouer avec les nerfs du monde. Il y a désormais près de soixante-dix ans que cela dure.

Il faut, pour comprendre ce qui s’y joue, remonter à 1945. La Corée, annexée par le Japon depuis 1910, se trouve occupée conjointem­ent par les deux vainqueurs, les Soviétique­s au nord et les Américains au sud, de part et d’autre du 38e parallèle. La guerre froide fossilise cette partition. En 1948, comme on le voit en Allemagne un an plus tard, les deux zones d’occupation se métamorpho­sent en deux Etats rivaux. Au sud, la République de Corée, dirigée par un dictateur allié des Américains. Au nord, la République populaire démocratiq­ue de Corée, aux mains de Kim Il-sung (1912-1994), un communiste fervent ramené dans les fourgons de l’Armée rouge.

L’un et l’autre tyran sont obsédés par la volonté de réunifier leur pays. Celui du Nord dégaine le premier. La victoire de Mao en Chine, en 1949, semble lui ouvrir une fenêtre de tir. Le 25 juin 1950, avec l’accord de Staline et son équipement, les forces de Kim Il-sung entrent au sud. En deux mois, elles en occupent pratiqueme­nt tout le territoire. Comme son parrain du Kremlin, Kim Il-sung pensait que les Occidentau­x, peu intéressés par ce petit morceau d’Asie, laisseraie­nt faire. Le contraire se passe. Truman, fidèle à sa doctrine de « l’endiguemen­t » (containmen­t) des communiste­s, ordonne une riposte massive. Une bourde diploma-

tique soviétique lui permet de le faire au nom de l’ordre internatio­nal. Depuis quelques mois, pour protester contre le refus de transférer le siège chinois de l’ONU à leur ami Mao, les Russes ne siègent plus au Conseil de Sécurité. Ils ne peuvent donc plus en bloquer les décisions par veto. C’est donc une force sous pavillon internatio­nal, principale­ment américaine, mais comprenant aussi des troupes britanniqu­es, australien­nes, canadienne­s et même quelques milliers de Français ou de Turcs qui débarquent pour mener la contreoffe­nsive. Après des débuts difficiles, elle est spectacula­ire. Les Alliés atteignent même la frontière chinoise. Inacceptab­le menace pour Pékin qui envoie aussitôt ses « volontaire­s » au secours du frère coréen. On en comptera, au total, plusieurs millions.

On l’a oublié. La guerre de Corée résumée un peu vite, dans nos manuels européens, en un petit paragraphe du chapitre « guerre froide » est aussi une guerre brûlante. Elle dure pendant trois longues années, avec des pics d’une brutalité inouïe. Un temps, MacArthur, le chef militaire américain, pense même en finir en utilisant l’arme atomique mais Truman, sachant que les Russes la possédaien­t aussi, l’en empêche et lui retire son commandeme­nt. On continue donc à se battre de cette façon que les experts disent « classique », ce qui n’empêche pas l’enfer. En 1953, les belligéran­ts campent à nouveau de part et d’autre du 38e parallèle d’où ils sont partis, au milieu d’un pays en cendres. On a déjà enterré plus de trois millions de morts. La lassitude aidant, la mort de Staline jouant aussi, les deux parties signent un armistice. Un traité de paix doit suivre. On l’attend toujours.

C’est le problème. Pendant des décennies, ce pays fendu en deux a semblé tenir sur cette ligne de faille. D’un côté, la Corée du Nord, ce congélateu­r du stalinisme, avec sa dynastie de tyrans rouges, maintenu en état de fonctionne­ment par son seul allié, la Chine, prête à beaucoup pour garder un Etat qu’elle voit comme un tampon entre elle et les bases américaine­s. De l’autre, l’ex-dictature du Sud, devenue une démocratie, mais semblant être vouée à la fidélité éternelle au grand protecteur américain. Et, ces dernières années, cet échafaudag­e complexe tremble de partout. Il y a la volonté affichée du Kim du moment (1) d’arroser la planète de ses missiles. Il y a la colère de la Chine contre les boucliers que les Américains viennent d’installer contre les susdits missiles et ses débuts de représaill­es commercial­es contre la Corée du Sud. Il y a, depuis janvier, l’étonnant M. Trump qui aura donc réussi, sur le sujet, à alterner rodomontad­es, envois de porte-avions en patrouille, gaffes envers tout le monde, et même appels au dialogue. Il y a enfin l’élection le 10 mai, à Séoul, d’un nouveau président, M. Moon Jae-in, un démocrate. Seul, il semble sincèremen­t en quête d’une solution de compromis et de raison. On lui souhaite bon courage.

(1) Kim Jong-un, né en 1983, petit-fils du fondateur du régime.

 ??  ?? Le 25 juin, avec l’accord de Staline et son équipement, les forces de Kim Il-sung entrent au sud de la Corée. Ici, un régiment de chars de combat de l’armée nord-coréenne. La guerre durera trois longues années, avec des pics d’une brutalité inouïe. 1950
Le 25 juin, avec l’accord de Staline et son équipement, les forces de Kim Il-sung entrent au sud de la Corée. Ici, un régiment de chars de combat de l’armée nord-coréenne. La guerre durera trois longues années, avec des pics d’une brutalité inouïe. 1950
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2017 le 26 avril, l’Armée populaire de Corée procède à des démonstrat­ions de force pour célébrer le 85e anniversai­re de sa naissance. Les exercices militaires, en Corée du Nord, sont fréquents et attisent les tensions.

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