Passé/présent Le choc des deux Corées
La péninsule est coupée en deux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, les tensions culminent
D’un côté, à la tête d’un Etat petit mais aux grandes capacités de nuisance, un Docteur Folamour qui menace la planète de bombardements nucléaires. De l’autre, au sommet de la première puissance mondiale, un président aussi facile à suivre qu’un chien fou. Pour compléter la distribution, une Chine en embuscade et un Japon qui rêve de jouer sa partie. De nombreux experts en géopolitique prédisent que la grande guerre du xxie siècle aura lieu en Asie. On ne s’avance guère en affirmant que, dans le scénario qui conduira à cette apocalypse, la Corée tiendra une place de choix. De gesticulations militaires en rebondisse- ments diplomatiques, la petite péninsule extrêmeasiatique ne cesse de jouer avec les nerfs du monde. Il y a désormais près de soixante-dix ans que cela dure.
Il faut, pour comprendre ce qui s’y joue, remonter à 1945. La Corée, annexée par le Japon depuis 1910, se trouve occupée conjointement par les deux vainqueurs, les Soviétiques au nord et les Américains au sud, de part et d’autre du 38e parallèle. La guerre froide fossilise cette partition. En 1948, comme on le voit en Allemagne un an plus tard, les deux zones d’occupation se métamorphosent en deux Etats rivaux. Au sud, la République de Corée, dirigée par un dictateur allié des Américains. Au nord, la République populaire démocratique de Corée, aux mains de Kim Il-sung (1912-1994), un communiste fervent ramené dans les fourgons de l’Armée rouge.
L’un et l’autre tyran sont obsédés par la volonté de réunifier leur pays. Celui du Nord dégaine le premier. La victoire de Mao en Chine, en 1949, semble lui ouvrir une fenêtre de tir. Le 25 juin 1950, avec l’accord de Staline et son équipement, les forces de Kim Il-sung entrent au sud. En deux mois, elles en occupent pratiquement tout le territoire. Comme son parrain du Kremlin, Kim Il-sung pensait que les Occidentaux, peu intéressés par ce petit morceau d’Asie, laisseraient faire. Le contraire se passe. Truman, fidèle à sa doctrine de « l’endiguement » (containment) des communistes, ordonne une riposte massive. Une bourde diploma-
tique soviétique lui permet de le faire au nom de l’ordre international. Depuis quelques mois, pour protester contre le refus de transférer le siège chinois de l’ONU à leur ami Mao, les Russes ne siègent plus au Conseil de Sécurité. Ils ne peuvent donc plus en bloquer les décisions par veto. C’est donc une force sous pavillon international, principalement américaine, mais comprenant aussi des troupes britanniques, australiennes, canadiennes et même quelques milliers de Français ou de Turcs qui débarquent pour mener la contreoffensive. Après des débuts difficiles, elle est spectaculaire. Les Alliés atteignent même la frontière chinoise. Inacceptable menace pour Pékin qui envoie aussitôt ses « volontaires » au secours du frère coréen. On en comptera, au total, plusieurs millions.
On l’a oublié. La guerre de Corée résumée un peu vite, dans nos manuels européens, en un petit paragraphe du chapitre « guerre froide » est aussi une guerre brûlante. Elle dure pendant trois longues années, avec des pics d’une brutalité inouïe. Un temps, MacArthur, le chef militaire américain, pense même en finir en utilisant l’arme atomique mais Truman, sachant que les Russes la possédaient aussi, l’en empêche et lui retire son commandement. On continue donc à se battre de cette façon que les experts disent « classique », ce qui n’empêche pas l’enfer. En 1953, les belligérants campent à nouveau de part et d’autre du 38e parallèle d’où ils sont partis, au milieu d’un pays en cendres. On a déjà enterré plus de trois millions de morts. La lassitude aidant, la mort de Staline jouant aussi, les deux parties signent un armistice. Un traité de paix doit suivre. On l’attend toujours.
C’est le problème. Pendant des décennies, ce pays fendu en deux a semblé tenir sur cette ligne de faille. D’un côté, la Corée du Nord, ce congélateur du stalinisme, avec sa dynastie de tyrans rouges, maintenu en état de fonctionnement par son seul allié, la Chine, prête à beaucoup pour garder un Etat qu’elle voit comme un tampon entre elle et les bases américaines. De l’autre, l’ex-dictature du Sud, devenue une démocratie, mais semblant être vouée à la fidélité éternelle au grand protecteur américain. Et, ces dernières années, cet échafaudage complexe tremble de partout. Il y a la volonté affichée du Kim du moment (1) d’arroser la planète de ses missiles. Il y a la colère de la Chine contre les boucliers que les Américains viennent d’installer contre les susdits missiles et ses débuts de représailles commerciales contre la Corée du Sud. Il y a, depuis janvier, l’étonnant M. Trump qui aura donc réussi, sur le sujet, à alterner rodomontades, envois de porte-avions en patrouille, gaffes envers tout le monde, et même appels au dialogue. Il y a enfin l’élection le 10 mai, à Séoul, d’un nouveau président, M. Moon Jae-in, un démocrate. Seul, il semble sincèrement en quête d’une solution de compromis et de raison. On lui souhaite bon courage.
(1) Kim Jong-un, né en 1983, petit-fils du fondateur du régime.