L'Obs

L’humeur de Jérôme Garcin

- J. G.

BPar JÉRÔME GARCIN onne nouvelle : la Culture est confiée à une femme de culture, et qui a lu Modiano. Ça nous change. On soupçonne Emmanuel Macron, qui se rêvait écrivain – « J’en ai, nous confiait-il en février dernier, la vanité, mais pas l’humilité » –, de ne pas être étranger à cette saisissant­e nomination. C’est d’ailleurs la première fois qu’une éditrice est appelée à occuper, rue de Valois, le fauteuil d’André Malraux. Et pas une éditrice parisienne. Née à Bruxelles, licenciée en biologie moléculair­e, installée à Arles, peu suspecte d’avoir jamais fréquenté les lieux de pouvoir, plus gandoura marocaine que tailleur Vuitton et miel toutes fleurs que macarons Ladurée, Françoise Nyssen, 65 ans, la patronne solaire d’Actes Sud, n’a pas seulement transformé la petite maison d’édition, que son père, Hubert Nyssen, avait créée, en 1978, dans une bergerie du Paradou, en institutio­n prospère (11 000 titres au catalogue et 217 employés). Elle y a aussi publié le meilleur de la littératur­e contempora­ine, de Nina Berberova à Kamel Daoud, de Paul Auster à Nancy Huston, et récolté les bénéfices de sa fidélité d’airain envers les écrivains : trois prix Goncourt en moins de douze ans (Laurent Gaudé, Jérôme Ferrari, Mathias Enard) et deux prix Nobel de littératur­e (Imre Kertész, Svetlana Alexievitc­h). Les livres, certes. Mais aussi le cinéma, le théâtre, les arts, la photo, l’architectu­re. Françoise Nyssen était ministre de la Culture avant de le devenir. Au Méjan, dans le centre historique d’Arles, elle a en effet inventé, en 1984, un lieu qui rassemble toutes ses passions et affiche sa volonté d’une culture pour tous, élitaire et populaire à la fois, avec ses salles de cinéma, de concert (baroque aussi bien que jazz), d’exposition­s ou de lectures publiques. Une Rue-de-Valois arlésienne, en somme, qui se prolonge désormais par une annexe campagnard­e du ministère de l’Education. En 2015, trois ans après qu’Antoine, leur fils de 18 ans, eut mis fin à ses jours, Françoise Nyssen et son mari, Jean-Paul Capitani, ont donné naissance, sur les 120 hectares d’un domaine agricole situé au sud-est d’Arles, à une école qui propose, sous l’égide d’Edgar Morin et de Pierre Rabhi, une alternativ­e au vieux système éducatif et accompagne notamment, de la maternelle au lycée, les enfants en difficulté. Tout autour, il y a des oliviers, des amandiers, des pins d’Alep, des moutons, des taureaux et des chevaux. C’est vraiment l’Ecole du Possible. Avec Françoise Nyssen, la Culture du possible est devenue enfin une réalité.

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