Elle dérange l’Amérique pudibonde
Outre-Atlantique, le nouveau couple présidentiel intrigue. Pour le meilleur, parfois pour le pire
Attention, sujet tabou. L’Amérique ne sait que faire de Brigitte Macron. Non pas qu’elle s’en désintéresse, c’est même tout le contraire : au lendemain de l’élection, les Américains ont découvert avec une vraie surprise la différence d’âge entre le président et sa femme, et beaucoup ont aussitôt classé la nouvelle dans la rubrique « ces Français, tout de même, un jour les maîtresses, le lendemain les anciens profs, rien ne les étonne ». Mais au-delà ? Un silence étonnant, seulement troublé par quelques articles. Dans un édito du « New York Times » titré « Brigitte Macron, Liberator », Roger Cohen se fait lyrique sur le respect des Français pour la vie privée
de leurs dirigeants et leur « bof » devant la différence d’âge. Dans la même veine, le « Washington Post » décrit élogieusement les réactions favorables de nombreuses Françaises, notant avec perfidie qu’Emmanuel Macron « a une chose en commun avec le président Trump : une différence d’âge de 24 ans avec sa femme. La différence est que l’épouse de Macron est la plus âgée ». Et l’on trouve bien, ici ou là, quelques articles enthousiastes devant ce que certains continuent d’appeler « le syndrome Mrs. Robinson », fine allusion au « Lauréat ». Dans le « Boston Herald », par exemple, Adriana Cohen salue cette première dame qui « ouvre la voie à une authentique libération sexuelle ». « Une femme vraiment libérée fait ce qu’elle veut, avec qui elle veut et ne s’excuse pas, à condition bien sûr que cela soit légal et consensuel », résumet-elle. Dans la presse féminine, le magazine « InStyle » liste « 12 raisons pour lesquelles nous aimons Brigitte Macron », avec celle-ci qui arrive en dernier : « Elle écrase les stéréotypes sur les relations entre hommes et femmes. »
Mais il s’agit d’exemples isolés, contrebalancés par les réactions négatives (elles aussi rares) de la fachosphère et de la presse de droite. « Aux Etats-Unis, écrit le “New York Post” de Rupert Murdoch, un espoir présidentiel avec un profil apparemment aussi sordide serait confronté à un examen sans pitié, avec chaque détail de son passé examiné au microscope. De l’autre côté de l’Océan, en France, tout est permis. » Sur les réseaux sociaux, les pro-Trump qui traitent le sujet donnent dans le weird (« bizarre »), creepy (« flippant ») ou repulsive (« répugnant ») et un fait divers célèbre revient souvent dans les commentaires, celui de Mary Kay Letourneau, prof condamnée pour le viol d’un élève de 12 ans qu’elle avait épousé, majeur, à sa sortie de prison.
Mais où sont les envolées lyriques de féministes célèbres, écrivaines réputées ou actrices superstars ? Comme si le sujet gênait, dans une Amérique redevenue bien plus conformiste, côté moeurs, que la vieille Europe. « Cela rend les gens très mal à l’aise de voir l’équation du genre inversée », confie Cindy Gallop, une entrepreneuse du Net, dans un article du « Times » qui indique que « les relations de ce genre abondent déjà dans la culture populaire »… mais ne donne qu’une poignée d’exemples.
Le quant-à-soi américain peut changer. Il pourrait suffire, par exemple, d’une visite d’Etat réussie du couple Macron à Washington pour que les Américains, capables d’observer de près et dans un contexte familier la première dame de France, tombent sous le charme de cette « May-December romance » (autre expression qui revient souvent). On verra peut-être alors sortir du bois les féministes et people de tout poil, chargeant sabre au clair sans trop prendre de risques. A moins que le monde, fasciné, ne perde simplement la voix devant le spectacle des deux couples présidentiels, français et américain, côte à côte…