L'Obs

Hemingway 2017

PAR ERNEST HEMINGWAY, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR PHILIPPE JAWORSKI, GALLIMARD, 145 P., 16 EUROS.

- DIDIER JACOB LE VIEIL HOMME ET LA MER,

C’est l’histoire d’un best-seller instantané. Paru à l’origine dans « Life », « le Vieil Homme et la Mer », dernier livre publié du vivant de l’auteur, est tiré, en 1952, à cinq millions d’exemplaire­s. Hemingway y raconte l’ultime sortie en mer d’un vieux pêcheur qui réussit à attraper un poisson gigantesqu­e, gros comme deux fois son embarcatio­n. Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre qu’un poisson pareil, pour Hemingway, c’est la vie ellemême. L’art, les filles, le whisky, les cigares : il lui a toujours fallu le meilleur. Et le meilleur, on le sait, vient à la fin. Seulement, au retour, le vieil homme épuisé voit ses efforts réduits à néant : des requins s’attaquent au poisson qu’il a réussi à arrimer à son bateau si bien que, lorsqu’il parvient finalement à rentrer au port, il ne reste du monstre des mers qu’une longue arête, sans un morceau de chair. Les charognard­s ont fait leur travail – mais qui sont-ils au juste, dans l’esprit de l’auteur de « Pour qui sonne le glas » ? Les journalist­es ? Les femmes en général, ses ex en particulie­r ? Ou la postérité ? Tels ces touristes qui, apercevant la carcasse du poisson, se méprennent à la fin du livre, et le prennent pour un vulgaire requin, que restera-t-il de cette oeuvre quand elle l’aura digérée ? De ce conte héroïque, on connaissai­t, en français, la version sympathiqu­e et approximat­ive de Jean Dutourd. Philippe Jaworski en signe une nouvelle, toute en technicité, sans doute plus fidèle à l’original. Laquelle préférer ? Dutourd : « Tout en lui était vieux, sauf son regard, qui était gai et brave, et qui avait la couleur de la mer. » Jaworski : « Tout en lui était vieux à l’exception de ses yeux qui avaient la couleur de la mer et qui étaient joyeux et invaincus. » A moins d’applaudir plutôt à la traduction pirate de François Bon : « Tout en lui était vieux, sauf les yeux – et ils étaient de la même couleur que la mer, joyeux et invincible­s. » Apre et rugueux, romantique et désespéré, le texte de Hemingway a, en tout cas, une classe folle. C’est une lettre d’adieu à un monde d’héroïsme et de grandeur qu’il aura, jusqu’au bout, tant aimé.

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Dans les années 1950, Ernest Hemingway au large de Cuba où il vécut une partie de sa vie.

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