L’Ile mystérieuse
Dans ce roman dont l’héroïne a 134 ans, l’auteur d ’“Auto biographie d’une Courgette” paie sa dette à Agatha Christie
Gilles Paris est un écrivain sur le fil. Ses personnages tanguent sur la crête des émotions. Avec des mots simples et justes, l’auteur d’ « Autobiographie d’une Courgette » exprime le malaise existentiel d’enfants confrontés à l’inconséquence des adultes. Ici, l’héroïne de 14 ans aime s’asseoir au bord de falaises vertigineuses. Marnie vit sur une île dans une maison de verre et d’acier conçue par son grand-père, l’inquiétant Aristide de Mortemer. Sa famille est riche. Et la jeune fille, surnommée « la Bâtarde », n’est pas toujours la bienvenue dans les fermes du voisinage. On lui reproche d’avoir tout ce qu’il faut alors qu’il lui manque l’essentiel et qu’elle tremble pour sa mère, Rose, rongée par un méchant cancer. Toutes les femmes du clan Mortemer, l’aïeule Olivia, Rose et Marnie sont en souffrance, otages d’un lieu maléfique. L’isolement moral de la petite sauvageonne est symbolisé par cette île battue par les vents. Elle n’a pour tout recours que Jane, son amie imaginaire. Vincy, le fils du pharmacien l’attire, cependant elle lui enfonce un compas dans le ventre en guise de présentations. Car Marnie a appris à se méfier des hommes. Olivia était une femme battue et sa mère a eu le coeur brisé par son père, flambeur, coureur de jupons, qui vient de mourir d’un accident de voiture. La petite n’a pas versé une larme. Dans sa famille, on ne montre pas ses émotions mais elles vous tuent.
Porté par une chorale de narrateurs, le récit baigne dans un climat presque onirique. Cette poésie cohabite avec un certain suspens. Les secrets bien scellés de la famille ont fini par asphyxier ceux qui les détiennent. Une personne pourtant en possède la clé, ce qui finit par délivrer l’adolescente des mystères qui l’emprisonnaient. Gilles Paris ne cache pas sa dette à Agatha Christie (« la Maison biscornue ») qui lui a inspiré son ouvrage le plus romanesque, le plus achevé. La thématique reste toutefois celle de la maltraitance et de l’abandon. Il porte toujours le même regard faussement naïf sur la noirceur de la nature humaine.